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Domaine étranger Steak hénaurme !

février 2022 | Le Matricule des Anges n°230 | par Dominique Aussenac

Issu d’un milieu juif ultra-orthodoxe, le romancier Shalom Auslander nous redonne littéralement le goût des siens. Iconoclaste, rabelaisien et déjanté.

Maman pour le dîner

Par ces temps où nous courons tous masqués, n’avons-nous pas perdu le goût de la farce ? Certainement pas Shalom Auslander qui à chaque publication en rajoute une couche épaisse, burlesque, décalée. Faut dire que le quinquagénaire né dans l’État de New York, à Monsey, peuplé essentiellement de juifs hassidiques a un lourd passif. Entré en turbulence par l’écriture pour se détacher de la bigoterie, l’entre-soi et les interdits, son premier ouvrage affiche le titre aussi provocateur que cocasse de Malédiction du prépuce (Belfond, 2008). Dans l’irrévérencieux L’Espoir, cette tragédie, il n’hésite pas à s’en prendre à Anne Frank, la jeune icône néerlandaise qu’il imagine vieillie et acariâtre dans un grenier yankee. Avec Maman pour le dîner, son quatrième ouvrage, il va jusqu’à donner au goût de la farce celui de la chair humaine.
Imaginons aujourd’hui aux États-Unis une famille de treize enfants, chacun affublé, non pas d’un prénom ridicule, mais d’un numéro. Premier, Deuxième… Lorsque l’un d’eux décède, c’est une vraie catastrophe, mais ce n’est pas le propos. Ce sont tous des garçons, sauf une malheureuse fille non désirée que l’on baptisera Zéro. Douze enfants entourent leur mère à l’agonie. Avant de rendre son dernier souffle, Mudd va se délester d’un héritage fort peu ragoûtant. Un détail important, nous sommes dans un des derniers foyers Can-Am. Entendez par là, Cannibalo-Américain. Les futurs défunts Can-Am ont pour obligation de se gaver lorsqu’ils sentent la mort approcher, « tradition connue sous le nom de Débauchation, de sorte que tous ceux qui souhaitent les consommer puissent le faire sans modération… » Résultat, la daronne a atteint les 250 kg grâce à un régime uniquement de hamburgers. Elle lègue les différentes parties de son corps à ses enfants en fonction de leur personnalité. Septième, le héros, éditeur en manque, pas le plus mal loti, héritera de la peau. Manger la peau d’une mère avec qui de surcroît il n’entretint pas de bons rapports constitue une sacrée épreuve. Mais la perspective d’un autre héritage, sonnant et trébuchant cette fois, pourrait faciliter la dégustation ! S’ensuit un tourbillon de situations loufoques, graves, gore, mais que l’énormité et la subtilité de l’imagination de l’auteur permettent de franchir à contre-courant, entre écœurements passagers et échantillonnage de rires.
Si les Cannibalo-Américains forment un peuple en voie d’extinction, qui ne ressemble à aucun autre, le judaïsme se révèle toutefois pour eux en miroir, voire en contre-miroir. Mudd apparaîtrait comme l’archétype de la mère juive possessive si sa haine débordante ne visait à la fois le peuple élu, le monde en général, plus particulièrement ses propres enfants. Cette dogmatique pragmatique qui dans la vie de tous les jours ne s’embarrasse ni de principes ni de valeurs morales va pousser sa smala à consommer sa propre chair afin d’assurer la survie de son peuple ou plutôt la pratique qui le définit. Elle constitue l’arbre immense et pittoresque cachant une galerie de portraits au vitriol. Onclissime, tout à la fois gardien de la tradition et exécutant des basses œuvres, prendra en charge le dépeçage et la cuisson. « Onclissime aimait bien comparer l’histoire de leur peuple à un film. “Une épopée, précisait-il, qui courrait sur dix mille ans. Chacun d’entre nous apparaît à l’écran, y demeure un très bref instant puis s’en va. Et vous osez prétendre connaître le sujet du film ? Qui plus est, prétendre que le sujet du film, c’est vous ? “ »
Au-delà de la critique acerbe de sa propre religion, de la pratique de rites qui n’ont plus aucun sens, Auslander condamne le morcellement contemporain des individus en un archipel de minorités. Doit-on se définir à partir de nos différences ou de nos ressemblances pour vivre ensemble ? « - Quel Croato-Américain ? - Le Croato-Américano-lesbiano-pro-avortement. » Si Auslander développe une exagération toute rabelaisienne, c’est pourtant Montaigne qu’il convoque. « Ce qui séduit Septième chez Montaigne, c’est son mépris des certitudes. Son incertitude catégorique quant à ses convictions au monde, à lui-même. Sa volonté d’avoir tort, de ne farouchement pas savoir. » D’une écriture torrentielle, passant d’un gag à l’autre à la vitesse de l’éclair, à partir d’une satire qui pourrait aussi bien figurer un memento mori, il nous interroge sur notre capacité à vivre libre, sans pression mentale et en société. Salutaire et revigorant.

Dominique Aussenac

Maman pour le dîner
Shalom Auslander
Traduit de l’américain par Catherine Gibert
Belfond, 258 p., 21

Steak hénaurme ! Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°230 , février 2022.
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