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Domaine étranger Délires crépusculaires à Berlin

juin 2024 | Le Matricule des Anges n°254 | par Anne Kiesel

L’écrivaine lithuanienne Undinė Radzevičiũtė n’a pas précisément froid aux yeux. En témoigne son roman qui emporte le lecteur dans sa folie.

La Bibliothèque du beau et du mal

La photo de Undinė Radzevičiũtė, dans la page qui lui est consacrée sur le site internet de son éditrice, montre une dame, dans la cinquantaine, qui semble tout à fait convenable, sagement accoudée à une rambarde, un livre à la main. Il ne faut pas se fier à cette apparente bienséance. Sous la couverture rouge et noir de la traduction française de son livre se cachent de délicieuses turpitudes et des plaisirs bibliophiliques très transgressifs.
Dans le premier chapitre, on se croirait au début d’un film dont le réalisateur s’amuse à perdre son spectateur. Qui sont ces gens qui discutent, quels sont leurs liens ? Nous sommes en 1924, seule indication claire. Il y a Walter, qui se déclare mourant, Lotta, qui semble être sa sœur, et Axel, 5 ans, le fils de cette dernière. Walter et Lotta se parlent comme on combattrait au fleuret. Qui est cet Egon qu’ils évoquent ? Walter déclare qu’il léguera tout à l’enfant. Lotta, pour sa part, réclame que son frère lui rende le Cranach qu’elle estime lui revenir. Se disputer un tableau de famille datant du XVIe siècle est quand même du dernier chic. Mais moins que le livre que Walter montre à son neveu : « - Regarde Axel, cet ouvrage est recouvert de peau humaine. (…) Axel avança un doigt pour toucher le livre et le retira aussitôt. - N’aie pas peur. Regarde, c’est un téton. Les humains ont ça sur leur poitrine. Toi aussi tu en as deux. (…) - Arrête d’effrayer mon fils ! s’écria Lotta. - C’est la toute première édition du marquis de Sade, s’émerveilla Walter. Cet exemplaire est couvert de la peau d’une aristocrate guillotinée. (…) - Que veut dire aristocrate guillotinée ? s’enquit Axel. (…) - Des bourgeois en colère lui ont tranché la tête (…) avec une machine spéciale. (…) Attends une seconde, je vais te montrer. - Je t’interdis de mettre la tête de mon fils dans une guillotine ! protesta Lotta avec courroux, avant d’avaler une gorgée de café froid. » Et nous ne sommes qu’à la page 25 du roman…
Au cours de la lecture, on s’interroge : à quoi donc ressemble la langue lituanienne, et comment Margarita Barakauskaité-Le Borgne a-t-elle travaillé pour aboutir à une traduction aussi vive ? Plus de 90 % du livre se situe entre 1924 et 1937, dans le Berlin de l’entre-deux-guerres, entre les bas-fonds de la ville et le monde de cette vieille famille, un brin fin de race dans un monde qui se termine. Walter est amateur de daguerréotypes érotiques et sniffe de la cocaïne grâce à un billet de cinq milliards de marks allemands roulé en forme de paille. Il s’intéresse aux tatouages, et sa passion pour la bibliopégie anthropodermique (la reliure de livres en peau humaine) va le mener sur un chemin surprenant.
Undinė Radzevičiũtė excelle dans l’humour pince-sans-rire. Ses personnages sont typés, forts comme un alcool bien raide avalé cul sec. Ce comédien : « Paul avait un corps parfait et un visage admirable, mais il était affublé d’une voix de corneille. » Il était acteur de cinéma muet. Le parlant a ruiné sa carrière. Ou le pharmacien qui vend sa drogue à Walter, homme énigmatique qui se réveille grâce à la formule magique : « De la part de Sigmund. » La situation politique de l’Allemagne à l’époque est évoquée en filigrane, c’est une ambiance d’avant la catastrophe. On croise d’autres personnages réels, en plus de Freud amateur de cocaïne. Joseph Goebbels, de loin, ou Leni Riefenstahl, la cinéaste d’Hitler. « - Leni vient d’avoir une proposition pour filmer les Jeux olympiques de Berlin, expliqua Lotta. Il paraît qu’on lui demande d’y mêler une histoire d’amour. C’est amusant, non ? - Je déteste les histoires d’amour et de sport, qu’elles soient vécues séparément ou mises en parallèle, réfuta Walter. Je suis mourant et je n’ai aucune envie de regarder des gens trotter en caleçon ou faire autre chose après l’avoir enlevé. »
Le plus fou (et pourtant nous avons déjà été emportés loin dans ce domaine) est pour la fin. Dans la courte dernière partie, située dans les années 1970, on rencontre Günter Grass. Walter est toujours mourant, une constance admirable. Et l’écrivain, prix Nobel, joue ici un rôle crucial dont nous ne dirons rien. Si ce n’est que son apparition dans cette fiction est somptueusement inoubliable.

Anne Kiesel

La Bibliothèque du beau et du mal
d’Undinė Radzevičiũtė
Traduit du lituanien par Margarita Barakauskaité-Le Borgne
Viviane Hamy, 352 pages, 23,50

Délires crépusculaires à Berlin Par Anne Kiesel
Le Matricule des Anges n°254 , juin 2024.
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