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Domaine étranger Une Jeanne d’Arc des antipodes

mars 2022 | Le Matricule des Anges n°231 | par Feya Dervitsiotis

Zulma poursuit la traduction de l’œuvre férocement novatrice d’Antonythasan Jesuthasan. Une reconstitution de l’univers tamoul, sa violence et sa beauté, à travers un portrait de femme.

On connaît son visage depuis la Palme d’or de Jacques Audiard, Dheepan, où il tenait le premier rôle, mais c’est dans ses écrits que l’on entend sa voix et à travers elle, l’histoire de tout un peuple qu’il tire de l’oubli. Exilé en France depuis 1993, Antonythasan Jesuthasan se déplace dans l’espace du roman à sa guise. La Sterne rouge enserre un récit de guerre dans une construction narrative sophistiquée, témoignant d’une fabuleuse liberté formelle qui renouvelle le procédé classique du « manuscrit trouvé ». Confié à l’écrivain à Paris, par une policière sri-lankaise, c’est le carnet de prison d’une autre femme, la capitaine Ala, que nous lisons. Combattante passionnée des Tigres tamouls, Ala a fait échouer sa mission de kamikaze et se retrouve condamnée « à trois cents ans de prison en régime sévère » où elle meurt à seulement 24 ans. Écrivant jusqu’à sa mort, elle retrace sa courte vie, de son enfance dans un village majoritairement cinghalais, à « une époque où tout le monde pouvait tuer tout le monde », jusqu’au présent carcéral, en passant par son expérience dans la section d’élite des Tigres noirs. Dans une dernière partie, fictionnelle au deuxième degré, nous glissons sans le savoir dans un roman où elle imagine sa sortie du Sri Lanka pour une autre vie en Europe.
Au moment où l’écrivain entreprend de reconstituer ce témoignage, celle qui le lui avait donné se fait exploser avec ses enfants à Colombo. À la lumière de cet événement, le carnet d’Ala devient le porte-parole de toutes les femmes soldats : Antonythasan Jesuthasan dédie son livre à Jeanne d’Arc. En devenant une guerrière, Ala échappe à toutes sortes de violences sexuelles. En étant emprisonnée, elle peut créer pour elle-même des images érotiques : « Ce monde fantasmé me soulève comme la mer. » Lorsqu’elle écrit sa vie réelle ou en imagine une autre, elle trace une continuité stricte entre la prison et le mariage, incapable qu’elle est de concevoir un espace autre que carcéral, sinon le combat et la mort. En creux, La Sterne rouge est un roman à plusieurs ramifications sur la liberté des femmes.
Dépassant son personnage, La Sterne rouge fait pousser une jungle pleine d’échos dans laquelle on s’enfonce. Le début et la fin du livre nous ramènent à l’auteur expliquant son travail et le contexte dans lequel il écrit. Antonythasan Jesuthasan y met en scène son personnage d’écrivain comme flottant quelque part entre l’Europe, le Sri Lanka et une violence intemporelle, christique, son corps recevant tous les coups. « J’ai senti du sang couler sur mes mains. L’écran était saturé de dépêches à propos des explosions survenues au Sri Lanka le jour même. » Parti pour sa résidence d’écriture à Bruxelles, il quitte un Paris déchiré par une autre guerre, celle des Gilets jaunes, figurée comme une lutte médiévale et chrétienne : « Au cours de ces samedis saints, des rebelles vêtus de jaune, s’emparant des rues et carrefours, purifiaient par le feu les mille pattes de la capitale ». Cette écriture par entrelacs se retrouve dans la façon dont les évocations de mythes, chansons, sorcelleries et contes tamouls côtoient les descriptions de tortures et autres crimes ; différentes nuances de violences s’y coagulent comme autant d’histoires entremêlées. La sentence des trois cents ans de prison sonnant le glas du temps humain et de toute limite, le livre accomplit ce mantra tamoul « qui permet de mélanger les lettres, lignes et couleurs pour en faire de l’encre noire puis retransformer à volonté cette encre en lettres, lignes et couleurs ».
N’ayant jamais pu retourner au Sri Lanka, fui en même temps qu’il sortait des rangs des Tigres tamouls, Antonythasan Jesuthasan a commencé à écrire et à publier en France. D’où, sans doute, la force de ses évocations, au service d’un besoin d’immersion par l’écriture dans ce pays perdu. Sa collection de nouvelles, Friday et Friday, abordait déjà les différentes facettes de la guerre opposant les Cinghalais aux Tamouls mais aussi l’émigration de ces derniers en France. Tragiques et drôles, ces textes, traversés par la littérature du XIXe siècle européen, sont autant de micro-épopées d’une guerre perdue et d’un peuple dépossédé, un sujet que son roman prolonge sans l’épuiser. Mariant traditions européenne et tamoule, Antonythasan Jesuthasan est à l’origine d’une œuvre éblouissante, impossible à situer.

Feya Dervitsiotis

La Sterne rouge
Antonythasan Jesuthasan
Traduit du tamoul (Sri Lanka) par Léticia Ibanez
Zulma, 320 p., 22,50

Une Jeanne d’Arc des antipodes Par Feya Dervitsiotis
Le Matricule des Anges n°231 , mars 2022.
LMDA papier n°231
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