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Intemporels Au nom de la vérité

avril 2022 | Le Matricule des Anges n°232 | par Didier Garcia

Avec Le Fou du tzar, l’Estonien Jaan Kross nous entraîne dans la Russie du XIXe siècle, où il valait mieux taire ses convictions.

La liberté n’a de sens que si elle implique le droit de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre », pouvons-nous lire dans la préface de La Ferme des animaux (1945 – une préface d’ailleurs écrite par George Orwell lui-même). Pour avoir adopté, avec un bon siècle d’avance, ce principe de liberté totale, Timotheus von Bock (héros malgré lui de ce roman) aura passé neuf ans en prison et vécu les dix dernières années de sa vie assigné à résidence dans son propre domaine.
C’est par l’intermédiaire du journal de son beau-frère par alliance Jakob Mettich que nous entrons dans cette histoire et avec elle dans la Russie d’Alexandre Ier puis de Nicolas Ier, histoire qui s’étire sur une petite décennie, de 1827, date à laquelle « Timo » est libéré, à 1836, date de son décès, mais avec de fréquents retours en arrière autour de son arrestation, survenue neuf ans plus tôt.
La raison de son incarcération ? Une lettre particulièrement audacieuse, adressée à l’empereur Alexandre Ier, présentant un projet de constitution tout en faisant de l’empereur un « traître à la patrie ». Autrement dit : un document à charge écrit contre la tyrannie qu’Alexandre Ier exerce alors sur son peuple.
Timo est aussitôt arrêté en tant que criminel d’État, pour ses « idées hostiles au gouvernement de l’Empire » (officiellement, il est tenu pour un de ces fous qui doivent être « extirpés de la société » parce qu’ils sont dangereux pour elle). Puis il est incarcéré dans un lieu gardé secret (il faudra trois bonnes années à sa femme Eeva pour apprendre que sa prison est une « énorme marmite de pierre posée au milieu de la glace et de l’eau », en l’occurrence la prison de Schlüsselburg, située à une cinquantaine de kilomètres à l’est de Saint-Pétersbourg, sur une île du lac Ladoga). Neuf ans plus tard, il est libéré par Nicolas Ier, mais assigné à résidence et espionné chez lui à chacun de ses pas.
Dans les pages de cet épais journal, qui se lit comme un roman d’aventures, et parfois d’espionnage, nous trouvons vraiment de tout, mélangé avec un art maîtrisé du dosage : des décès (c’est fatal), des lettres capitales (qu’un hasard bienveillant a laissées froissées dans une corbeille plutôt que de les confier au feu qui aurait dû les faire disparaître), ainsi que des intrigues amoureuses, qui sont autant de pauses et de digressions à l’intérieur de l’intrigue principale. Et bien sûr des moments clés, comme lorsque Timo abandonne son projet de fuite à l’étranger, pourtant élaboré pendant plusieurs années, préférant poursuivre en Russie son combat contre l’empereur (pour celui qui veut lutter contre la tyrannie, et quand bien même il serait seul à mener la résistance, il n’y a pas d’exil possible). Ou lorsque Jakob donne à lire au fils de Timo, alors âgé de 17 ans (et né au début de son incarcération), le texte « criminel » de son père, en lequel certains n’ont rien voulu voir de plus que des « divagations utopiques ».
Publié en 1978, Le Fou du tzar est un flot ininterrompu de micro-intrigues qui font voyager le lecteur du passé au présent (celui de l’écriture du journal), lesquels viennent à se confondre pour ne plus former qu’une sorte d’épaisseur temporelle, qui est celle de l’histoire de Timo. Et nous avons souvent l’impression que Jakob pourrait encore intercaler de nouvelles péripéties, probablement à seule fin de ralentir le déroulement de l’intrigue et de créer du suspense, sans que nous en soyons le moins du monde gênés.
Plusieurs fois pressenti pour le prix Nobel, Jaan Kross (1920-2007) a réalisé avec Le Fou du tzar un roman historique d’une grande densité et qui prend souvent les allures d’une enquête. Dès les premières pages, nous découvrons en effet que le projet narratif de Jakob se double d’une quête en apparence simple et pourtant infiniment complexe : savoir si la folie de Timo est réelle ou si elle est une invention de l’empereur. Six cents pages plus loin, et malgré une observation quasi clinique des comportements et des propos de son beau-frère, la question n’est toujours pas tranchée (ce qui prouve à quel point la frontière entre la folie et la raison est ténue). S’il faut en croire sa femme Eeva, qui aura tout supporté avec une exemplaire dignité, Timo souhaitait surtout « être un clou de fer dans le corps de l’Empire ». Sa vraie folie, s’il faut lui en trouver une, sera d’être allé au bout de ses convictions dans cette Russie tsariste, de les avoir assumées envers et contre tout, et d’avoir ignoré le danger quand il s’agissait du devoir. En somme : une belle leçon de résistance.

Didier Garcia

Le Fou du Tzar
Jaan Kross
Traduit de l’estonien par Jean-Luc Moreau
Robert Laffont, « Pavillons poche », 690 pages, 12

Au nom de la vérité Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°232 , avril 2022.
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