Ce n’est pas le premier livre que le photographe belge Philippe Herbet publie. Il a donné chez Yellow Now ou La Lettre volée des écrits « d’artiste » où il dit, comme il le fait dans ses images, son intérêt pour le Caucase et le charme des femmes russes croisées dans les rues d’Istanbul. Dans Fils de prolétaire, c’est son enfance qu’il visite en maintenant la logique d’une prise d’images par courts instantanés qui énoncent ses inoubliables moments d’enfant, ses interrogations et ses quelques vérités. « Nous habitions une banlieue de poussières rouges de minerai de fer. Les usines sont dans les rues. Les fours à coke, les hauts-fourneaux, les aciéries crachent leurs fumées, les conduites de gaz, d’air comprimé, d’azote traversent le centre-ville. Des nappes d’odeurs fétides donnent des nausées, des haut-le-cœur, on laisse les fenêtres fermées, parfois on doit recommencer les lessives du linge mis à sécher à l’extérieur. » On plaint la mère, qui ne supporte « pas un grain de poussière ». Elle est coquette, peut-être un peu plus que ça. Le père, ouvrier, est un taiseux qui s’endort vite, un peu partout. Lui, l’enfant, est né avec un œil fermé, comme un photographe en devenir qui va pointer l’autre dans le viseur. Il regarde. « J’ai le don merveilleux de voir le monde tel qu’il n’est pas, je rêve la vie. J’imagine que je traverse sur un cargo durant des semaines l’océan Atlantique, puis le Pacifique. Rien ne m’atteint vraiment même si la moindre contrariété me fait les larmes aux yeux. »
Sans mélancolie, avec douceur, un peu de distance aussi, Philippe Herbet observe ses proches et en note le parcours à travers le temps : « Notre minuscule famille est translucide, elle navigue à vue en suivant le courant, elle évite les remous et se tient bien à l’abri des orages. Les rêves, les vagues rêves s’étoilent, se tiennent dans les lointains de l’oubli. Nous vivons dans le retrait, le modeste, dans le contrôle – peut-être est-ce une forme de sagesse ». Voilà sans doute pourquoi ni son père ni sa mère ne comprennent ce qui attire leur photographe de fils ailleurs…
Éric Dussert
Fils de prolétaire
Philippe Herbet
Arléa, 78 pages, 15 €
Domaine français Fils de prolétaire
mai 2022 | Le Matricule des Anges n°233
| par
Éric Dussert
Un livre
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°233
, mai 2022.