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Domaine étranger La mort lente

mai 2022 | Le Matricule des Anges n°233 | par Thierry Cecille

Au printemps 1870, sous les yeux de son frère Edmond, Jules de Goncourt affronte le délire et l’aphasie : Alain Claude Sulzer scrute cette débâcle.

Tout ce qui dans ces pages va nous être raconté pourrait peut-être s’intituler Histoire d’un déni. Lorsqu’il relate dans son Journal la mort de son frère, Edmond de Goncourt écrit en effet : « M’interrogeant longuement, j’ai la conviction qu’il est mort du travail de la forme, de la peine du style ». Depuis des années, ils travaillent ensemble à produire des romans qui s’efforceraient de rendre compte de la réalité mais avec une acuité d’expression, une recherche de précision que certains admirent (dont Zola) mais que d’autres taxent parfois méchamment d’« écriture artiste ». Ce sont donc, ajoute-t-il, « ces efforts et ces dépenses de cervelle » qui expliqueraient les terribles derniers mois qui ont conduit Jules à une mort atroce. La réalité est tout autre : comme Baudelaire avant lui, comme Nietzsche après lui, Jules a contracté la syphilis auprès d’une prostituée et la déraison qui peu à peu l’envahit a pour origine cet acte-là, commis dix-huit ans auparavant. C’est avec une méticuleuse attention, avec, si l’on ose l’oxymore, une empathie cruelle qu’Alain Claude Sulzer va suivre, jour après jour, minute après minute, quasiment, lors de l’agonie, ce qui constitue avant tout l’éloignement fatal, la séparation désespérante entre ces « vieux garçons » qui furent, leur vie durant, des frères aimants et complices, une sorte de couple idéal, dans la vie quotidienne comme dans la création artistique.
Au cœur de ces pages, il dispose en outre, comme un roman dans le roman, l’histoire de leur domestique, Rose. Dévouée aux frères pendant plus de vingt ans, travailleuse acharnée mais mauvaise cuisinière, elle fut leur soutien constant et ils croyaient voir en elle une sœur de la Félicité d’Un cœur simple de Flaubert. Las… Ils apprirent à sa mort que, prise de folie amoureuse, elle leur avait caché une bâtarde, s’était terriblement endettée, les avait volés. Nous les voyons d’abord bouleversés par la révélation de ces secrets mais ils s’avouent rapidement que s’ils avaient connu la vérité, «  ils l’auraient laissée continuer sa vie (…) pour pouvoir observer comment elle s’adonnait à son vice et comment elle serait engloutie par le destin, avec le froid intérêt du chercheur qui dénomme et classe tout ce qu’il voit ». Et peu à peu l’écriture s’impose : « Rose serait ressuscitée, elle devait vivre, elle l’avait mérité, ils le lui devaient. Ils mettraient Rose au centre d’un roman ». Elle va devenir Germinie Lacerteux, héroïne pitoyable et scandaleuse.
Mais lorsque les premiers signes de la maladie de Jules se font jour, lorsqu’Edmond se rend compte que « le fil entre eux se rompait le plus souvent », il n’a, cette fois, pas la force d’écrire et il se contente de guetter sans trêve, entre l’angoisse et l’espoir. Un jour, Jules n’arrive pas à prononcer certaines lettres, un autre, il semble ne pas même le reconnaître. Lors d’un dîner chez la princesse Mathilde, cousine de Napoléon III, alors que d’autres amis se trouvent là, dont Flaubert ou Gautier, chacun s’étonne puis se détourne quand Jules ne parvient pas à manger proprement ou éclate d’un rire étrange. Les scènes terrifiantes se succèdent : ainsi, alors que Jules ne parvient plus qu’à dire oui ou non, il s’entête à lire les Mémoires d’outre-tombe. Mais, butant sur une phrase sans en venir à bout, « il se mit à se balancer d’avant en arrière dans le fauteuil (…) se frotta à nouveau le front comme s’il voulait pénétrer dans son cerveau. Il froissa la page qu’il avait essayé de lire, la déchira et la mit presque sous ses yeux. Il était désespéré. Puis il fourra la page dans sa bouche. Edmond ne put l’empêcher de l’avaler ». Malgré tout son amour, Edmond n’empêchera pas l’inéluctable, la nature « mangeuse d’hommes » le fera, pour les vingt-six ans qu’il lui reste à vivre, l’orphelin inconsolable d’un frère.

Thierry Cecille

Les Vieux Garçons
Alain Claude Sulzer
Traduit de l’allemand par Jacqueline Chambon
Chambon, 216 pages, 22,20

La mort lente Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°233 , mai 2022.
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