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Domaine étranger Lumière d’un passage

juin 2022 | Le Matricule des Anges n°234 | par Thierry Guinhut

Misère d’ici-bas, splendeur d’au-delà : la prose de Ludmila Oulitskaïa éclaire Le Corps de l’âme.

Le Corps de l’âme

Avec un titre en forme de paradoxe, l’on ne peut s’attendre à des clichés lénifiants. Une interrogation tant charnelle que métaphysique s’inscrit au fronton de ces « nouveaux récits » au nombre d’une douzaine. « Toute cette viande, où est son âme, je vous le demande ! » crie l’un d’entre eux. Ainsi pouvons-nous jouer avec les titres : s’il y a « une mort », une « autopsie », peut-être pourrons-nous découvrir le « phénix » qui renaîtrait de ses cendres et l’« Aqua Allegoria » salvatrice…
Cette tentative d’effraction d’un « atlas de l’âme » commence par un poème dédié aux femmes de tous âges, « amies » facétieuses ou désabusées, comme ces sœurs qui connaissent une réconciliation après la disparition d’une mère plus linguiste que maternelle. Elles sont en effet les héroïnes de ces textes à l’accent tragique. Comme lorsque Zarifa cherche à comprendre la génétique des populations et ses conséquences sur les comportements agressifs et guerriers, peu avant de mourir et de savoir son cercueil enveloppé dans un tapis orné d’un dragon et d’un phénix.
De tardives histoires d’amour naissent parfois, y compris lorsqu’Alice « s’achète une mort », même si l’on peut préférer un chiot en peluche. Car si l’on meurt souvent, de cancer ou sous un tramway, l’on aime et se marie bien entendu, l’ouvrage associant ainsi Éros et Thanatos. Pour preuve, un même espace peut servir à « exposer un cercueil ou fêter un mariage ».
Mais lorsqu’une jeune fille entre dans un abattoir de porcs, c’est une autre affaire. Voilà qui va la dissuader de son avenir de biologiste. En miroir, Dalia épure son appartement des traces de son mari enfui pour qu’il ne sente que l’« Aqua Allegoria », censée, en compagnie des « pommes Antonovska », parfumer la vie. En conséquence, lorsqu’elle meurt, son corps accouche d’un papillon, une sorte de « pyrale des pommes », en une acmé fantastique. Une autre souffle dans la « petite âme » de son amant ; cette osmose érotique n’est évidemment pas éternelle, tant le corps finit par les trahir. Un jeune photographe malade disparaît dans des paysages de montagne qu’il n’a pu photographier, mais dont il se souvient si bien.
La tonalité poétique parvient-elle toujours à conjurer un réalisme entêtant ? Il faut, pour revenir à notre humaine matérialité, « un anatomopathologiste (…) prêtre de la matérialité pure, le dernier à nettoyer le temple que l’âme vient de quitter ». Et face à une particularité pour le moins étrange de son dernier cadavre, un jeune flûtiste, comme des traces d’ailes, il ne laisse pas d’être perplexe, sans vouloir approuver le fantastique. Pourtant un ange va l’appeler. De même, une bibliothécaire fort active voit sa mémoire s’effilocher : ou comment traiter de la maladie d’Alzheimer comme l’accession à la blancheur, au « savoir absolu »
Bien plus qu’en des nouvelles successives, le réseau thématique et textuel se charge d’échos. L’écriture, concise et vive, emporte le lecteur dans sa riche foulée ; jamais elle n’est à court d’idées. Sans se complaire dans la plainte et le tragique stérile, elle mesure notre finitude, le mystère des personnalités, le chemin contrasté des vies et des fictions de l’au-delà. Voici peut-être le déclencheur de ce bel ouvrage : « Lorsque sa vie fut réglée à la perfection, ce fut le début de la vieillesse ». Comme si Ludmila Oulitskaïa, née en 1947 près de l’Oural, exilée à Berlin, mesure le chemin accompli par une humanité désorientée et par son œuvre, surtout romanesque et riche de dix-neuf volumes. L’on sait qu’elle fut chassée de son laboratoire de biologie génétique pour avoir écrit de la poésie dissidente pendant l’ère soviétique. Elle y revient à sa manière lumineuse : nous voici au seuil de l’inévitable perdition, mais avec quelque chose d’une certitude de la splendide envolée dernière de l’âme.

Thierry Guinhut

Le Corps de l’âme
Ludmila Oulitskaïa
Traduit du russe par Sophie Benech
Gallimard, 208 pages, 18,50

Lumière d’un passage Par Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°234 , juin 2022.
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