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Domaine français Vieilles peaux, jeune sang

juillet 2022 | Le Matricule des Anges n°235 | par Jérôme Delclos

Sensuel, cru, noir, le premier roman de la Liégeoise Charlotte Bourlard a l’amère, l’exquise douceur de la morbidezza.

L' Apparence du vivant

L’Apparence du vivant cache bien son jeu. Subtil roman d’apprentissage sous les airs d’un thriller, il a sa propre et très troublante vitalité vénéneuse, celle-là même du couple que forment une jeune femme et une vieillarde qui « ressemble à une grand-mère innocente ». Le décor, morbide mais que l’on découvrira sensuel en diable, est celui de l’ancien funérarium et son logement, celui des Martin, avec « Monsieur » réduit sur son lit à un état végétatif, et « Madame » encore bien vivante, même si ça n’est plus pour longtemps comme l’incipit nous l’apprend. « Elle me demande plusieurs fois par jour que je l’achève. « Bientôt, Madame Martin ». » Aucun suspense ici, l’autrice est honnête et sa narratrice digne de confiance. D’emblée, le lecteur sait que la jeune photographe, femme à tout faire de la vieille dame, à la fin la tuera et héritera de sa fortune « enfermée dans des cercueils » en « dizaines de kilos de billets rangés par liasses ». C’est le contrat entre les deux femmes, d’ailleurs elles en plaisantent.
Coriace, hautaine, à l’occasion crachant sur les gens, Madame est odieuse avec tous, sauf avec Monsieur devenu un légume ainsi qu’avec la narratrice – tout à la fois son aide-ménagère, sa dame de compagnie, et son apprentie taxidermiste. Et c’est d’abord un saisissant portrait de vieillarde que dresse Charlotte Bourlard, la décrivant, à travers le regard de la jeune femme, aussi bien dans son tempérament rock’n’roll, que dans son corps dont s’occupe sa protégée dans les rituels du bain, du massage, du coucher. « Ses muscles ont fondu, il y a des années. Son corps est couvert d’escarres. Elle refuse que je l‘enduise de pommade. Elle trouve ça visqueux. Ses seins ont disparu dans les plis de ses côtes. La peau de son ventre s’étale comme une flaque. Sa chatte ressemble à un petit animal déshydraté »
Entre les soins donnés à Monsieur, le rituel de la promenade de Madame (« dans une brouette ») au bord de la Meuse où l’on écluse des « pèkèts », une escapade au casino de Liège où mémé en flambeuse se montre joyeusement féroce avec les loosers, l’atmosphère est paisible et complice entre la servante et sa maîtresse. Puis assez vite on entre dans le dur, le sexe pervers pour le plaisir mutique de Monsieur, de scabreuses séances de photos (« La vieille me sourit, nue dans son cercueil en orme satiné »), et de baise de la narratrice avec des proies ramenées vers Madame pour sa jouissance bien salace. Mais surtout, il y aura l’apprentissage de la taxidermie par l’héroïne, l’autrice s’étant scrupuleusement documentée (en dernière page, elle remercie l’artisan qui lui a ouvert son atelier). D’où les scènes, écrites au scalpel, de la naturalisation d’un chiot, d’un volatile, et, ici ou là, la vision glaçante de « l’écharneuse » qui sert « à racler les morceaux de chair qui restent accrochés sous la peau ». Si bien que, morte ou vive, animale ou humaine, jeune et en action pour la narratrice ou flétrie et impotente chez l’ancêtre, la chair est omniprésente et glorifiée, jusque dans les odeurs de pisse lors d’une virée à l’hosto.
Sous cette narration, déjà en soi fascinante, travaille le noir secret d’une vengeance, et l’ambition des deux femmes de pratiquer leur art sur d’autres sujets que des bêtes. Comme elles sont aimables bien que ou parce que monstrueuses, on s’attache, on tremble pour elles lorsque se pointent les gendarmes.
Le roman aura entrelacé la vie et la mort comme le fait le corps de Madame. « Ses veines sont tellement usées qu’elles se sont enroulées autour de ses os. » De l’histoire, la narratrice sortira changée. Grandie, plus forte qu’au début. Mieux vivante. C’est bon comme un happy end très décomplexé : belge, très belge.

Jérôme Delclos

L’Apparence du vivant,
Charlotte Bourlard
Inculte, 129 pages, 13,90

Vieilles peaux, jeune sang Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°235 , juillet 2022.
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