Un livre

Les Enfants endormis

de Anthony Passeron

Editions Globe

Il est possible que toutes les familles recèlent, plus ou moins bien dissimulés, des secrets douloureux, honteux et que le silence, alors, pèse sur les générations suivantes. Il suffit parfois d’une photographie ou d’une bobine Super 8, oubliée au fond de quelque armoire, pour que se fasse ressentir la nécessité d’enfin rompre ce silence. C’est à une telle enquête que se livre ici Anthony Passeron, précisant d’emblée le but qu’il poursuit : « Ce livre est l’ultime tentative que quelque chose subsiste. (…) J’ai voulu raconter ce que notre famille, comme tant d’autres, a traversé dans une solitude absolue ». La tragédie, ici, est celle de Désiré, qui fut son oncle, et d’Émilie, sa cousine. Désiré fut tout d’abord un jeune homme énergique et brillant, le premier de la famille à obtenir son bac, alors que ses parents et son frère (le père du narrateur) s’épuisaient pour conserver à la boucherie familiale la réputation qui faisait leur fierté. Mais Désiré fut la victime de cette liberté qu’on lui avait octroyée : il rejoignit très vite les « enfants endormis », toxicos tout d’abord livrés à l’engrenage fatal de l’héroïne puis rattrapés, en ces années 80, par le sida. Désiré et son épouse vont en mourir, après avoir mis au monde Émilie, malade elle aussi dès sa naissance et dont nous suivrons également la lente mais fatale agonie.
Anthony Passeron a fait le choix d’une construction originale : les courts chapitres qui se succèdent relatent, alternativement, les épisodes de cette sorte de descente aux enfers, offrant par ailleurs une forte évocation d’une bourgade qui se meurt, et les progrès, hésitants, entravés, de la lutte médicale contre le sida. Ces pages semblent souvent s’en tenir au constat, l’écriture est précise et pudique à la fois (on pense à Annie Ernaux) mais l’émotion peut justement sourdre d’une telle retenue : nous aurons ainsi approché « ces blessures qu’il fallait cicatriser coûte que coûte ».

Thierry Cecille

Les Enfants endormis
Anthony Passeron
Éditions Globe, 277 pages, 20 €