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Poésie Œil fertile et fraîcheur native

novembre 2022 | Le Matricule des Anges n°238 | par Richard Blin

Visuelle, désaffublée de tout lyrisme, la poésie de Jan Wagner relève le défi que lancent les choses au langage autant qu’elle communique une forte sensation d’existence.

Publié en 2010, Australie est le quatrième recueil de poèmes de Jan Wagner, né en 1971, à Hambourg. Ce lauréat du prix Georg-Büchner, la plus haute distinction littéraire allemande, est considéré comme l’un des meilleurs poètes allemands actuels et ses poèmes ont été traduits dans plus de quarante langues. En français, outre Archives nomades, un choix de poèmes traduits par François Mathieu (Cheyne, 2009), on a pu lire Les Variations de la citerne (Actes Sud, 2019 – cf. Lmda N°207), un livre où l’œil de l’auteur met à vif, s’insinue, rend étrange et étonnant tout ce qui vit et gravite autour d’une vieille citerne qui recueillait l’eau au fond du jardin de son enfance. Australie, quant à lui, doit beaucoup à une forme de vagabondage un peu sauvage. C’est une sorte de carnet de voyage agencé autour des quatre points cardinaux, plus un, un cinquième, qui est un « point imaginaire, inatteignable et qui doit le rester ». S’il donne son titre au livre, il doit sa légitimité à une phrase de Pessoa, citée en exergue : « On est heureux en Australie, dès lors qu’on n’y va pas. »
Une errance donc qui passe par Chypre, la Grèce, le lac de Côme et le lac Michigan, nous transporte dans l’Ohio, la forêt amazonienne, en Finlande, en Pologne, au Sahara et même au milieu de l’océan en compagnie d’une méduse, « lentille polie / par les courants et les vagues ; loupe / grossissant l’atlantique ». Il y a là une tentative de réinventer le voyage, de faire du monde un excitant perpétuel en l’appréhendant à neuf à travers un regard qui cerne et discerne, saisit, condense, rend visible. Un regard dont la force découvrante alliée à une forme d’ouverture de tout l’être à ce qui est là, rend grâce au présent, à un état des choses, ou bien se contente de contempler avec admiration ce qu’il peut y avoir d’incomparable dans des créatures comme le caméléon, le gecko, le toucan ou le pitt-bull, « cette puissante tête, / croisement d’étau et de piège à loup / ces pattes qui s’arc-boutent contre tout… »
Cette poésie qui se place sous le signe de la rencontre jubilante de la réalité, et qui dit les choses au plus près d’elles-mêmes, suppose une adhésion à leur être ou à leur présence et exige un poète qui s’efface, s’oublie, fuit le lyrisme – au sens des émotions déversées dans le texte. C’est qu’il s’agit pour Jan Wagner de nous donner à voir la chose à l’aide d’un regard qui l’explore, intensifie son existence, la rend aussi neuve qu’une aube encore frémissante. D’où le choix de formes variables et parfois peu usitées comme le pantoun ou la sextine, et celui d’une durée fluide, d’un mouvement continu de parole qui se déploie en glissant continûment d’un vers à l’autre, sans ces arrêts marqués qu’emblématisent habituellement les majuscules. Car si le texte est ponctué, si le point est bien présent, il n’est pas suivi d’une majuscule. Ainsi chaque mot a le même poids et les images défilent, s’apparentant en cela au style kaléidoscopique des poètes expressionnistes ainsi qu’à leur quête d’une forme de représentation rendant insolite ce qui est banal, et étonnant ce à quoi on est habitué. Une poésie éminemment visuelle où un feu de broussailles peut grandir « plus vite qu’un bidonville », où les tramways sur leurs rails sont « comme des fermetures éclairs géantes », où « une somptueuse sauterelle rouge brique brillant au soleil, ses pattes gothiques écartées, prête à sauter » n’est autre qu’une cathédrale, où « des libellules contrôlent les visas / des larves de moustiques », et où l’escargot, « au-dessus duquel s’enroule un tout petit / cyclone de calcaire qui croît avec lui », va, « caravelle / dans le ressac vert, menaçant de chavirer, mais gardant son cap, tranquille ».
Truffée de rimes boiteuses, de rebonds rythmiques ou phoniques, et s’appuyant beaucoup plus souvent sur la profondeur des consonnes que sur la vivacité des voyelles, la poésie de Wagner trouve dans sa réalité sonore une grande partie de son sens et de sa singularité. Voir et dire s’y articulent en un constant équilibre qui ancre l’écriture dans la matérialité de la langue comme du monde sensible. Pour aboutir, dans la dernière section, celle du cinquième point cardinal, à une contamination de tous les plans – ceux du présent, de l’enfance, du souvenir, du rêve et de la réalité – au profit d’une apothéose de petits morceaux de vie entrant en consonance avec le grand rythme – systole et diastole – dans lequel Goethe voyait la formule du monde.

Richard Blin

Australie
Jan Wagner
Édition bilingue
Poèmes traduits de l’allemand par Roland Crastes de Paulet et Axel Wiegandt,
Illador, 224 pages, 25

Œil fertile et fraîcheur native Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°238 , novembre 2022.
LMDA papier n°238
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