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Arts et lettres Les vies de la nature morte

janvier 2023 | Le Matricule des Anges n°239 | par Richard Blin

Art du portrait d’objet, « petite boutique des plaisirs », genre aux mille visages, la nature morte n’a rien à voir avec la mort mais tout avec la vie. Démonstration par Gérard Wajcman.

Ni nature, ni morte

Parti pris d’une voix et d’un regard, le nouveau livre de Gérard Wajcman – écrivain et psychanalyste, auteur entre autres titres de L’Objet du siècle, de Fenêtre. Chroniques du regard et de l’intime (Verdier, 1998 et 2004) et de L’Œil absolu (Denoël, 2010) – interroge l’art de la nature morte, un genre un peu déprécié quand il n’est pas tenu pour insignifiant. Ni nature, ni morte dit le titre, ce qui d’emblée stimule l’intérêt, invite à ouvrir l’œil, annonce une analyse novatrice de ce genre tantôt nommé nature inanimée, nature reposée ou vie coye (silencieuse).
Pour aborder cet art prosaïque qui montre des objets « non naturels et non artistiques » souvent empruntés à la sphère domestique et qu’il élève à la dignité d’être regardés parfois jusqu’à la délectation, Gérard Wajcman a choisi de ne pas réfléchir en termes de genre – notion qui suppose une identité fixe et une permanence du temps – mais de prendre le parti de ne considérer que des cas, « des œuvres plurielles mais toujours singulières » prises en désordre, à différentes époques et dans différents pays, et d’en proposer une lecture qui implique de s’occuper plus de leurs différences que de leurs ressemblances. Ces peintures d’objets, comme on les nommait jusqu’au XVIIe siècle, il va les regarder sous l’angle du corps, à la manière de Daniel Arasse, c’est-à-dire en substituant au regard « de loin », à la vision culturelle de l’art, un regard « de près », attentif aux détails, au rendu des matières, aux accords de tons, à tout ce qui fait la sensualité de la peinture. Un regard désirant, quasi tactile, s’approchant au plus près de la toile et ne pouvant qu’être sensible à l’offrande des plaisirs que présente ces étalages d’objets. Car la nature morte a foncièrement affaire au corps, aux sens. Donnant « à manger à l’œil », figurant des plaisirs à venir, elle est la vitrine des jouissances de l’homme. « La vie, c’est le jouir. » Un jouir lié à l’incorporation, au boire et au manger, à ces plaisirs primaires et primordiaux qui passent par la consommation de l’objet et excluent donc le plaisir sexuel, qui, lui, relève du plaisir d’usage, en ce sens que, dans l’amour, chaque partenaire se sert du corps de l’autre, ne fait que lui prêter son corps.
Peignant de façon à les rendre désirables tout ce qui rend le corps content, la nature morte conduit le regard sur des objets qui ne se conforment à aucun modèle d’art et de beauté. Elle va même jusqu’à faire entrer l’objet vil, le déchet et « la merde » dans l’art. C’est Sôsos de Pergame, qui vivait deux ou trois siècles avant J.-C., montrant dans une de ses mosaïques, celle dite de la « chambre mal balayée », les reliefs d’un banquet jonchant le sol, et c’est, en 1990, Mosaic, le carrelage blanc entièrement festonné d’étrons, de Wim Delvoye, ou encore Cloaca, sa machine dite à merde (2000), constituée d’un tube digestif géant fonctionnel.
À la tradition multiséculaire de la nature morte peut aussi se rattacher Duchamp qui, en choisissant d’exposer un urinoir, a montré que n’importe quel objet peut faire partie du champ de l’art. Ou Malevitch qui, avec son Carré noir sur fond blanc, a poussé la logique jusqu’à faire tableau de l’absence d’objet, comme si, de la nature morte au monochrome, l’histoire de l’art était tendue en son fond par la question de l’objet, et suivait « un chemin allant de sa représentation à sa disparition ». Quant à la Vanité, cette nature morte qui ne cesse de rabâcher « memento mori », elle s’intéresse à un autre objet, celui que nous sommes aussi, un objet condamné à disparaître comme les autres. Ainsi, tout en nous faisant prendre conscience de notre matérialité, « les Vanités montrent l’absence à venir des seuls absents de toute nature morte : les sujets vivants. »
Objet « seulement pour les yeux », art qui fait jouir, la nature morte est aussi un art qui pense, qui donne à voir par lui-même au-delà de lui-même, et ce jusqu’à des moments de révélation comme dans les natures mortes de Léon Spilliaert, qui montrent des flacons et des boîtes en carton aux allures célibataires, « pure présence d’énigmes, mais légères », ne racontant rien, ne symbolisant rien, sinon du vide « qu’à la fois ils renferment et qu’ils constituent ».
Aujourd’hui, alors que la nature risque de mourir, l’expression de nature morte prend un sens plus tragique. Ce qui incite Gérard Wajcman à nous rappeler, à la fin de son livre, qu’un homme n’étant qu’« un peu de vie qui passe », il sied surtout de prêter attention « à chaque personne ou chaque objet insignifiant de nos vies ».

Richard Blin

Ni nature, ni morte
Gérard Wajcman
Éditions Nous, 384 pages abondamment illustrées, 35

Exposition « Les Choses, une histoire de la nature morte », au Louvre (Paris 1er), jusqu’au 23 janvier 2023.

Les vies de la nature morte Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°239 , janvier 2023.
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