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Intemporels L’autorité du non-sens

janvier 2023 | Le Matricule des Anges n°239 | par Didier Garcia

La Caisse d’Aris Alexandrou (1922-1978) donne à voir la guerre civile grecque par le trou de la serrure. Mais dans toute son absurdité.

Si nous pouvions nous en tenir à un strict résumé des faits, il suffirait d’une phrase pour présenter « l’opération Caisse » : avec un commando communiste d’une trentaine d’hommes, le narrateur doit assurer clandestinement le transport d’une caisse en fer (dont nous ignorons ce qu’elle contient quelques pages avant la fin du roman, et dont nous ne dirons rien de plus ici) de la ville de N jusqu’à celle de K, une mission dont la réussite pourrait sceller l’issue de la guerre civile (« Si la caisse arrive à K, nous avons gagné la guerre. Sinon, nous avons perdu »). Mais alors que la caisse est arrivée à bon port (par ses seuls soins, puisqu’il est l’unique survivant de l’expédition), le narrateur est condamné à la détention préventive, et encouragé à rédiger, dans une cellule obscure, à l’intention de celui qu’il appelle « camarade juge d’instruction », une version plus circonstanciée de ladite mission.
Jour après jour, du 27 septembre au 15 novembre 1949, il noircit la ration de feuilles blanches que l’on met à sa disposition, en espérant que sa déposition parvienne à l’innocenter (nous ignorons d’ailleurs ce qui lui est reproché).
S’il lui promet, au départ, « d’être le plus bref possible et de ne rapporter que l’essentiel », son esprit méticuleux à l’extrême le contraint très vite à tout expliquer et tout commenter, « pour ne rien laisser dans l’ombre ». Plus rapidement qu’il ne l’aurait souhaité, ses dépositions délaissent l’ordre chronologique auquel elles se tenaient jusqu’alors, s’enrichissant d’éclaircissements sur des détails pourtant anodins et de retours en arrière, dans lesquels il est souvent question d’une enveloppe qu’on lui a remise et dans laquelle il a découvert un message chiffré écrit à l’encre sympathique (bien que cette mission l’ait souvent confronté à des messages codés, il ne parvient jamais à décrypter celui qu’on lui destinait).
Le texte gagne encore en épaisseur lorsqu’il décide de revenir sur sa déposition, et de corriger ce qu’il a volontairement falsifié ou dissimulé, en espérant que ses fausses déclarations alertent le juge d’instruction (il est en effet persuadé que ce dernier dispose d’informations officielles, mais comme il ne réagit jamais, le narrateur doit constamment apporter de nouveaux démentis afin de pouvoir poursuivre).
D’un jour à l’autre il se contredit, puis introduit des mensonges dans sa réfutation, tant et si bien que nous en venons à douter de tout ce que nous lisons, d’autant que cette expédition paraît totalement absurde (les membres du commando doivent se « cyanurer » s’ils sont blessés, afin de ne pas tomber vivants entre les mains de l’ennemi), jusque dans l’itinéraire que des commandements venus nul ne sait d’où lui font suivre, contraignant le cortège à repasser plusieurs fois par le même point.
La dernière déposition (datée du 15 novembre 1949) constitue une sorte d’apothéose narrative : un paragraphe de 40 pages, qui aurait peu en compter le double si le narrateur ne s’était pas persuadé de l’inanité de son entreprise (« à quoi bon s’entêter à chercher toutes les versions possibles et imaginables »)…
Auteur de ce seul roman, mais poète et traducteur (de Maïakovski, Voltaire, Tolstoï, ou Faulkner entre autres), le Grec Aris Alexandrou (qui a été membre du Parti communiste, ce qui lui a valu un internement de plusieurs années) a eu besoin de six ans pour venir à bout de ce roman palimpseste, dans lequel chaque nouvelle version remplace et efface la précédente. Un roman dont nous ressortons un peu sonnés, bousculés par cet univers brutal, qui a hérité de la Seconde Guerre mondiale puis de la guerre civile grecque (laquelle opposa, de 1946 à 1949, l’armée gouvernementale à l’armée démocratique rattachée au PC), et où les exécutions sommaires alourdissent des conditions de vie déjà peu humaines.
Quel sens convient-il de donner à ce mille-feuille romanesque, qui aurait très bien pu compter deux cents pages de plus sans que tout soit dit pour autant ? Nous ne savons si la réalité de la mission échappe totalement au narrateur (malgré sa rigueur quasi scientifique), ou s’il cherche à faire perdre la tête au « camarade juge d’instruction » (et par là même au lecteur). Ce qui est certain, c’est que la lecture rétrospective qu’il fait de la mission, et l’humour désabusé avec lequel il considère le passé qu’il vient de vivre, lui montrent à quel point son engagement idéologique l’aveuglait, lui faisant accepter l’inacceptable sans jamais se poser de questions. Une adhésion totale que le narrateur condamne un peu plus à chaque nouvelle version.

Didier Garcia

La Caisse,
Aris Alexandrou
Traduit du grec par Colette Lust,
Cambourakis, 336 pages, 22

L’autorité du non-sens Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°239 , janvier 2023.
LMDA papier n°239
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