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Intemporels Panique au gouvernement

juin 2024 | Le Matricule des Anges n°254 | par Didier Garcia

Dans La Lucidité, le Portugais José Saramago (prix Nobel 1998) interroge les limites des démocraties occidentales. En montrant leur fragilité.

Quatre ans après une épidémie de cécité (racontée dans L’Aveuglement – publié en 1995, et disponible en Points), la capitale sans nom d’un pays non spécifié (mais on peut raisonnablement penser qu’il s’agit d’un pays européen) se retrouve frappée d’une épidémie d’un autre genre : lors d’élections municipales, on enregistre 83 % de votes blancs (sans la moindre abstention). Plutôt que de chercher à donner une signification politique au résultat inédit de ce scrutin, aussitôt tenu pour « une calamité encore jamais vue dans la longue et laborieuse histoire des peuples connus », le gouvernement en place s’empresse de crier au complot anarchiste international, à une conspiration massive, voire à une « offensive de grande ampleur contre la stabilité démocratique », laquelle pourrait bien s’étaler « sur toute la planète » (ni plus ni moins). Si en haut lieu on souhaite trouver une solution permettant de « mener au déchiffrement du mystère, de l’énigme, de la charade, du casse-tête, ou comme on voudra l’appeler, des bulletins blancs », l’objectif est bel et bien de « ramener le troupeau égaré au bercail ». Aux petits maux les grands remèdes : pour des raisons de sécurité nationale, le gouvernement instaure l’état d’exception, « des unités de l’infanterie et de la police militaire, appuyées par des troupes et des chars d’assaut », sont déployées dans les endroits stratégiques de la capitale. Et pour que la ville sombre dans le chaos, avec le secret espoir que ceux qui ont honnêtement rempli leur devoir de citoyen en votant pour l’un des partis officiels se révoltent contre les « blanchards », le gouvernement abandonne la capitale à son destin et se réfugie à la périphérie (le président de la république imagine alors faire construire un mur de huit mètres de haut autour de la ville).
Malheureusement pour les ministres, cette répression ne mènera à rien (malgré des manières particulièrement musclées : arrestations, interrogatoires, et même un attentat, perpétré par le gouvernement dans une station de métro), sinon à renforcer la solidarité entre les citadins. Le ministre de la justice est le premier à remettre sa démission au premier ministre, bientôt suivi par le ministre de la culture, et sans doute y en aurait-il eu d’autres si une lettre anonyme n’arrivait à point nommé pour désigner une femme comme la principale instigatrice du vote blanc (désormais considéré comme une forme de terrorisme international) : lors de la cécité générale qui sert de toile de fond au roman L’Aveuglement, cette dernière avait été la seule à ne pas perdre l’usage de ses yeux. Le coupable ayant été trouvé (et quand bien même il serait innocent), le ministre de l’intérieur dépêche dans la capitale un commissaire, un inspecteur et un agent afin d’enquêter et d’établir sa culpabilité (démarche qui s’apparente à une chasse aux sorcières). Ne trouvant pas le moindre élément à charge à retenir contre cette femme, le commissaire chargé de l’enquête abandonne sa mission, contraignant ainsi le gouvernement à donner à ce roman une fin digne d’un polar (nous n’en dirons rien afin de laisser au lecteur le plaisir de découvrir les surprises que Saramago lui a laissées).
Roman éminemment politique (ce qui ne l’empêche pas d’être souvent drôle, mais alors d’un humour qui dérange beaucoup plus qu’il n’amuse), La Lucidité (publié en 2004) est inquiétant en ce qu’il nous force à nous interroger sur les démocraties représentatives dans lesquelles nous vivons : sont-elles vraiment des démocraties ou seulement des simulacres ? Pour mieux étourdir son lecteur José Saramago (1922-2010) l’entraîne dans un texte hyper-obsessionnel, fait de phrases immenses, d’une incroyable densité, à l’intérieur desquelles l’auteur intègre tous les dialogues, sans retours à la ligne et sans guillemets (les prises de parole étant juste signalées par une majuscule placée à l’intérieur de la phrase). Dans ces paragraphes étouffants, qui font de la lecture une épreuve à la fois physique et mentale, le lecteur se retrouve immergé dans un univers proche du nôtre (les personnages se servent d’Internet et de téléphones portables), mais surtout dans une histoire où il n’y a ni nom de pays ni nom de ville, et où les personnages n’apparaissent jamais avec leur prénom mais sont exclusivement désignés par la fonction qu’ils occupent au sein de la société. Un anonymat généralisé qui laisse entendre que cette situation pourrait se retrouver n’importe où. De là à imaginer qu’elle puisse un jour devenir la nôtre, il n’y a qu’un pas – que le gouvernement nous aide parfois à franchir.

Didier Garcia

La Lucidité
de José Saramago
Traduit du portugais par Geneviève Leibrich
Points, 384 pages, 8,90

Panique au gouvernement Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°254 , juin 2024.
LMDA papier n°254
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