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Intemporels À l’écart de la vie

mai 2024 | Le Matricule des Anges n°253 | par Didier Garcia

Dans Les Allongés, la romancière française Jeanne Galzy (1883-1977) nous présente une communauté de malades privés d’horizon.

Lorsque l’incipit de ce roman nous introduit, à la suite de la narratrice, dans « la Maison des Sables », nous pouvons encore imaginer (à condition d’avoir évité les préfaces de Monica Sabolo et d’Alice Zeniter) une grande demeure familiale plantée en bordure de plage, ou une villa balnéaire destinée aux villégiatures estivales, ou encore un établissement dévolu à des colonies de vacances… Nous sommes loin de penser qu’il s’agit en réalité du sanatorium de Berck (Pas-de-Calais), dans lequel la narratrice est admise pour soigner sa tuberculose osseuse (elle est atteinte de la maladie de Pott, qui la contraint à porter une gaine de plâtre).
La porte à peine refermée derrière elle, nous découvrons un univers sordide : celui des « allongés » – autrement dit un mouroir, où chacun survit à sa façon. Contrairement à elle qui a gardé l’usage de ses jambes, privilège qui la classe du côté des « vivants », capables de se déplacer seuls, les malades qu’elle rencontre alors reposent en permanence sur des chariots appelés « gouttières », emmaillotés de couvertures et la tête soulevée par des coussins.
Nous allons donc suivre, pendant toute la durée de son séjour, le destin de plusieurs personnages. Ce qui fait la singularité de chacun, c’est d’abord l’état dans lequel il se trouve. Tel malade est paralysé, tel autre « percé de fistules », chacun se manifestant par « l’odeur iodoformée » de ses pansements ou par celle « de la chair qui se liquéfie, se dissout lentement et déjà se transforme avant la décomposition ». Les vitres renvoient malgré elles des silhouettes sans grâce, déformées par la maladie. Parfois, le regard s’arrête sur des enfants, qui « ressemblent à des batraciens avec leur figure aplatie, leur buste que les appareils font paraître énorme, tandis que d’autres, dont un membre est atrophié, ont l’air de poupées mal raccommodées par un réparateur qui n’aurait pas trouvé deux bras ou deux jambes de la même taille ». Mais plus encore que par les maux qui l’affligent, l’individu se caractérise par l’attitude qu’il adopte face à la maladie, laquelle lui confère comme un surcroît d’identité : résignation, espoir de guérison, croyance religieuse, révolte (celle du petit Bertrand par exemple suscite l’empathie du lecteur).
Dans la Maison des Sables, on parle surtout de sa maladie, du degré de souffrance qu’elle inflige, du temps que l’on a passé allongé (vingt-deux mois pour l’une, « plus de dix ans d’immobilité » pour une autre), et chacun conserve à portée de la main un miroir grâce auquel il accède à un monde qu’il ne peut plus voir. Il arrive qu’on y meure (Desurmont, le plus attachant des personnages, sera le premier à partir). À ceux qui restent, la mort d’un allongé fait éprouver « la honte d’avoir faim, de manger après la nuit d’angoisse », honte sans doute exacerbée par le sort que l’on réserve ici aux défunts, que l’on fait disparaître de manière quasi clandestine. Afin de ne démoraliser ni les malades ni le personnel, et de « conserver le prestige guérisseur de cette ville sans cimetière », on escamote les morts durant la nuit, faisant de la Maison des Sables un lieu où l’on ne meurt jamais vraiment.
Paradoxalement, l’univers sanatorial (qui a inspiré de nombreux écrivains, à commencer par Thomas Mann pour La Montagne magique) apporte à la narratrice des consolations qui ne sont pas négligeables (peut-être aussi parce qu’elle n’est pas trop mal lotie) : « la fraternité entre malades, la découverte d’autres souffrances, l’oubli de son calvaire en suivant par la pitié d’autres calvaires. » Mais le fait de partager le quotidien des malades, de s’associer à leur destin, rend la guérison difficile à assumer. À ceux qui vont mieux, que l’amélioration de leur état de santé fait culpabiliser, et qui se préparent, non sans angoisse, à retrouver la vraie vie, on leur dit qu’« il ne faut pas avoir honte de guérir ».
Prix Femina 1923, Les Allongés est un livre plein de retenue, tout en délicatesse et en pudeur (le roman paraît davantage chuchoté qu’écrit). Les phrases sont souvent empreintes de poésie, comme si l’écriture avait le pouvoir de restituer la beauté du réel et de l’offrir à ceux qui ne peuvent plus guère la voir : « Je mets dans ses yeux dilatés de fièvre le lent balancement des cyprès aigus, la rigidité des lauriers, l’élasticité brillante des pins duveteux. » Atteinte du même mal que sa narratrice, Jeanne Galzy sait ce que sont ces vies mutilées, coupées dans leur élan de vie, suspendues pour certaines à un mince espoir de guérison. Mais elle sait aussi qu’elles sont peut-être rendues plus riches par l’épreuve qu’elles traversent, comme si le fait d’être privé de presque tout donnait de la valeur à chaque instant vécu.

Didier Garcia

Les Allongés,
Jeanne Galzy
L’Imaginaire, 192 pages, 9,50

À l’écart de la vie Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°253 , mai 2024.
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