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Domaine français Naissance au forceps

février 2023 | Le Matricule des Anges n°240 | par Richard Blin

Emily Dickinson se refusa toujours à voir ses poèmes publiés. Après son décès, trois femmes vont réussir à faire connaître son œuvre. Une aventure que romance, avec inspiration, Dominique Fortier.

Les Ombres blanches

Devina-t-elle, Emily Dickinson, imagina-t-elle à l’instant de fermer les yeux et de plonger dans la nuit éternelle, que ses poèmes, eux, allaient commencer à vivre ? Peut-être pas puisque, peu avant sa mort, elle avait demandé à sa sœur, Lavinia, de brûler tous ses papiers personnels. Nous sommes à Amherst, en Nouvelle-Angleterre, en mai 1886, dans la maison Dickinson, Homestead, la première maison en briques de la ville, celle où Emily a passé l’essentiel de son existence, se retranchant, dès 30 ans, dans sa chambre, y vivant cloîtrée, toute de blanc vêtue et s’adonnant à une mystérieuse œuvre poétique. Une vie que Dominique Fortier a imaginé dans Les Villes de papier (Lmda N°216, septembre 2020) avant de ressentir le besoin de s’intéresser aux femmes lui ayant survécu : sa sœur, Lavinia ; Susan, l’amie de cœur mariée à Austin, le frère chéri ; Mabel, la maîtresse de ce dernier, et Millicent, la fille de Mabel.
Restée seule dans la grande maison où « tout est identique et rien n’est plus pareil », Lavinia, obéissant à la demande de sa sœur, brûle les lettres qu’elle a trouvées dans sa chambre. Mais lorsque, ouvrant un coffre, elle tombe sur des dizaines de livrets manuscrits et sur des centaines de poèmes griffonnés sur des morceaux d’enveloppes ou d’emballages, elle est à la fois sidérée et incapable de les jeter au feu. Que faire ? Elle sait qu’elle s’entend mieux à soigner ses chats qu’à juger de poésie, mais elle sent bien qu’il y a là un livre en miettes. Mais a-t-elle le droit de vouloir faire un livre avec tous ces poèmes alors que sa sœur n’en a jamais manifesté le désir ? Elle hésite et finit par les confier à Susan – qui habite la maison voisine, les Evergreens – en lui demandant de l’aider à les faire publier. Lavinia, écrit Dominique Fortier, est de la famille de Max Brod, qui choisit d’ignorer les dernières volontés de son ami Kafka, « elle fait partie de ces rares ouvriers du hasard à qui l’on doit des œuvres monumentales qu’ils n’ont pas écrites ».
Mais Susan, dévastée par un double deuil – celui d’Emily, qui succède à celui de Gilbert, son petit garçon – et meurtrie par l’amour adultère de son mari, n’est d’aucune aide. Alors Lavinia, en accord avec son frère, décide de confier la tâche à Mabel. Les poèmes se retrouvent donc dans une nouvelle maison, The Dell, qu’occupent Mabel, David, son époux, et leur fille Millicent. Mabel a 30 ans, et Austin, son amant, 56. Elle tient un journal, joue du piano, compose de la musique, écrit des articles et a toujours rêvé de faire un livre. Et voici que, grâce à la voix d’une autre, elle va pouvoir publier un volume de poésie « sans égal et sans pareil, un ouvrage absolument neuf et original » dont elle ne sera pas l’auteure mais l’éditrice. « Elle va changer ces fragments en livre, miracle aussi grand que de changer l’eau en vin. »
L’histoire de la publication de ce premier choix de poèmes s’est donc jouée entre trois maisons et trois femmes empêtrées dans un tourbillon d’amours, de jalousies et de fidélité à Emily, et avec l’aide malicieuse de Millicent, une enfant aussi libre et vive que la « dame en blanc ». Du déchiffrement, de la retranscription et de l’édition in fine, Dominique Fortier nous fait vivre les étapes, que scandent les interventions de T. W. Higginson, « l’ami le plus sûr », disait Emily. Il est, hélas, à l’origine de la normalisation des poèmes, décrétant la nécessité de supprimer des tirets, des majuscules, demandant de corriger les « crimes de lèse-grammaire », exigeant qu’on donne des titres aux poèmes, qu’on les ordonne par thèmes et, qu’en cas de plusieurs possibilités pour un mot, de toujours choisir celui qui donne l’expression la plus claire alors que Mabel constate le contraire : Emily, « partant du terme attendu, le rature pour s’en éloigner graduellement (…) jusqu’à en élire un qui n’a plus avec le premier qu’un lointain rapport de connotation ».
Un roman captivant où Dominique Fortier est, tour à tour, chacune de ces femmes, et où elle questionne le pouvoir des mots et de la littérature tout autant que sa propre nature, ne cachant rien de son besoin de se quitter, d’entrer dans les têtes et les cœurs d’autrui : un désir de vivre plusieurs vies dans plusieurs lieux inventés. « Une part de moi ne cesse de se détacher pour s’échapper. » Projection, appropriation, transfert qui donnent corps et présence à ces femmes à qui l’on doit la première publication de poèmes de l’une des plus rayonnantes figures de littérature américaine.

Richard Blin

Les Ombres blanches
Dominique Fortier
Grasset, 256 pages, 20,90

Naissance au forceps Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°240 , février 2023.
LMDA papier n°240
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