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Domaine français Géométrie du vertige

février 2023 | Le Matricule des Anges n°240 | par Richard Blin

Roman épistolaire placé sous le signe de la passion dévorante de la littérature, le nouveau livre de Jean-Yves Jouannais est le plus jubilatoire de ceux qu’a suscités le centenaire de la mort de Proust.

Félicien Marboeuf (1852-1924)

Correspondance avec Marcel Proust
Editions Verticales

Plus que savoir ce que l’on entend par littérature, c’est la part du factice et du fictif dans l’acte créateur, comme dans l’identité de l’artiste, qu’interroge Jean-Yves Jouannais à travers les lettres que sont censés avoir échangées Félicien Marbœuf et Marcel Proust, autrement dit « le plus grand écrivain sans œuvre » et le très prolixe auteur d’À la recherche du temps perdu.
On connaissait l’existence de cette correspondance et on avait pu en lire de rares extraits, mais cette fois c’est dans son intégralité qu’elle nous est présentée. Et elle confirme ce qu’en disait Jouannais dans Artistes sans œuvres, I would prefer not to (Hazan, 1997, rééd. Verticales, 2009) à savoir que Félicien Marbœuf « aurait nourri, favorisé à son insu, par sa vie seule, et quelques lettres » l’écriture du grand œuvre de Proust. Composée de soixante-trois lettres s’échelonnant entre 1896 et 1922, cette correspondance – entrecoupée de discussions entre Marbœuf et Mary McIsaac, la journaliste à qui il a confié les précieuses lettres – vient donc compléter ce que nous avions commencé à découvrir dans Artistes sans œuvres où Marbœuf (1852-1924) apparaissait en compagnie de Félix Fénéon, Armand Robin, Jacques Vaché, Arthur Cravan et d’autres avatars plus ou moins volontaires du célèbre Bartleby : des adeptes du « not to » (« ne pas ») dans son rapport à l’acte créateur.
La vie de cet écrivain « n’ayant jamais écrit », Jouannais l’a inventée, avec ses temps forts, ses zones d’ombre – comme les raisons de son exil à Glooscap, au Canada –, sa part de rêve et d’étrangeté, comme la lubie qui le pousse à collectionner des portraits d’écrivains ayant les yeux clos, c’est-à-dire sur leur lit de mort ou simplement assoupis.
Tenant à la fois de l’artiste réel et de l’auteur rêvé, et incarnant le pouvoir de fascination que peut exercer la figure de l’écrivain – fût-il sans œuvre –, il aurait inspiré et fécondé bien des artistes, Flaubert d’abord, qui en aurait fait le modèle du héros de L’Éducation sentimentale, puis Proust, au point d’avoir eu une influence majeure sur l’écriture de La Recherche comme le montre ce roman tout en échos, mimétisme et morceaux de bravoure.
Fait pour nous inciter à réfléchir aux notions d’origine et d’originalité comme à celles d’emprunt, d’empreinte et d’emprise, cet échange de missives – qui relève d’une connaissance profonde de l’œuvre proustienne et qui multiplie les masques et les retournements inattendus – a commencé quand Marbœuf a reçu un exemplaire dédicacé des Plaisirs et les jours. Ayant cru y déceler « un chant très singulier et très beau, sous un mauvais revêtement rococo », il remercie Proust en l’assurant qu’il deviendra un grand « dans un genre sans âge, et en quelque sorte sans matière ». S’ensuivra une correspondance de plus en plus franche et directe. Des échanges où l’on voit que les combats à mener pour écrire sont de même nature que ceux qu’on doit mener pour ne pas écrire, et où surtout sont remis en perspective – non sans humour ni malice – des moments clés de La Recherche comme celui des jeunes filles en fleurs ou celui des rêveries sur les noms de pays. Quant à l’épisode de la madeleine, il viendrait d’un souvenir évoqué par Proust dans une de ses lettres, celui du « goût d’une tartine de pain grillé trempé dans une tasse de thé ». Lui répondant, Marbœuf lui conseille d’oublier cette trop fragile « biscotte », qui rime avec « cocotte », au profit d’une « pâtisserie plus moelleuse, mafflue, voluptueuse : la madeleine ». Un choix qui l’honorerait parce que Madeleine était aussi le prénom de son épouse décédée.
Une correspondance qui est à l’image de cet ensemble infini de réfractions et de reflets qu’est La Recherche, mais où Jouannais témoigne aussi du vif intérêt qu’il porte à la guerre. Ainsi on y voit Marbœuf, qui y a perdu son fils, s’attaquer aux livres de ce dernier, les caviardant pour en extirper tous les termes évoquant la guerre. Un travail de retranchement, dans tous les sens du terme, une forme de sculpture qui, lui écrira Proust, a fait « de cette funeste bibliothèque » un « buste aimable » du fils. Et quand le prix Goncourt récompensera À l’ombre des jeunes filles en fleurs en croyant honorer une œuvre de paix, Marbœuf reprochera aux jurés de n’avoir pas su lire, dans ce livre, le roman de la guerre que Proust portait depuis dix ans. Une guerre que Proust définit comme « une substance interposée entre moi et les phénomènes ». Mais une guerre dont il a alchimiquement transmuté les ruines en La Recherche du temps perdu.

Richard Blin

Félicien Marbœuf (1852-1924).
Correspondance avec Marcel Proust,

Jean-Yves Jouannais
Verticales, 224 p., 18,50

Géométrie du vertige Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°240 , février 2023.
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