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Domaine français Le sujet, ce beau souci

avril 2023 | Le Matricule des Anges n°242 | par Guillaume Contré

Dans ce nouvel opus, Éric Chevillard se penche, scalpel en main, sur un sujet récalcitrant. Cette quête de l’écriture en devient la matière même.

La Chambre à brouillard

Qes édifices romanesques d’Éric Chevillard ne tiennent souvent qu’à un fil sur lequel l’auteur tire aussi savamment que brutalement. Il s’agit de le tendre au maximum, de vérifier sa capacité de résistance, d’y faire toute sorte de nœud, d’y avancer en équilibriste, et si jamais en chemin le fil semble casser, notre auteur continuera d’avancer dans le vide jusqu’à ce que le fil, comme par magie, réapparaisse. La virtuosité et l’effronterie sont les deux piliers d’une aventure littéraire qui reste sans équivalent dans les lettres françaises. Ce n’est pas tant que Chevillard écrive des livres sur rien, sinon qu’il choisit sciemment de produire du foisonnant à partir de pas grand-chose, comme d’autres multiplient les pains ou tirent des lapins de leurs chapeaux.
Dans La Chambre à brouillard, titre évocateur qui pourrait être une belle profession de foi (le romancier comme artiste de l’enfumage), il met en scène la plus vieille – et la plus essentielle – des quêtes : celle d’un sujet. Car ce n’est pas tout d’écrire, fût-ce avec virtuosité, encore faut-il savoir de quoi on parle. Ici, donc, le narrateur, écrivain imbu de lui-même comme il se doit, se voit confié par le peu fréquentable Oleg un « sujet » enfermé dans une boîte auquel il fera subir toutes sortes de vexations au nom de la rigueur scientifique. « C’est au nom de mes travaux précédents qu’il m’a été confié, je suppose. On aura estimé que j’étais le seul qualifié peut-être », annonce d’emblée notre héros.
En réalité, le qualifier d’écrivain, c’est aller un peu vite en besogne. Chevillard entretient savamment, tout au long d’un livre qui n’est pas avare en péripéties (langagières avant tout), l’ambiguïté : le « sujet » en question est-il animal, végétal ou minéral ? Le narrateur est-il un écrivain, un scientifique, un hurluberlu, un pauvre type, voire un malade mental ? Difficile à dire, on peut néanmoins avancer qu’il est prêt à tout – à perdre, femme, enfant, maison – afin de dompter son sujet d’étude, d’en tirer la substantifique moelle.
Mais c’est bien des affres de l’écriture, qui ne pardonne pas, dont souffrent le narrateur, plongé jusqu’au cou dans cette mise en abîme : « Je suis ferré, je l’avoue, piégé par mon sujet. Déjà comme englué dedans. Il me tient », confie-t-il. Reste à savoir s’il aura « un peu d’espace pour (s)es évolutions et révolutions personnelles, (s)es belles acrobaties ». Retenu dans une cave où, en d’autres temps le narrateur enfermait son fils pour parfaire son éducation, le sujet, lui, pourrait bien « être attiré irrésistiblement par la lumière ». Notre héros, qui met « (s)es compétences à son service », qui « veille à son bien-être, à son efflorescence, au développement bien compris de ses facultés », aimerait autant que le sujet ne lui glisse pas des mains et ne se retrouve pas, par exemple, entre celles d’un certain Gorius, un collègue que le narrateur, dévoré par la jalousie, ne porte pas dans son cœur.
« Comment en effet le cerner plus sûrement ? », s’interroge-t-il. Peut-être convient-il de « tourner autour du sujet », une « stratégie » certainement « plus astucieuse » dans laquelle la « sournoiserie » aura sa part car « la morale n’a pas à se mêler des sciences pures ». De toute façon, assure le narrateur, le sujet « demeurera le terme de ma trajectoire tortueuse, l’objectif secret de mon effort ».
Un objectif qui, même coincé dans une cave d’où il finira par s’échapper pour mieux saper les fondements mêmes de l’édifice littéraire, n’en reste pas moins exposé à la vue de tous. Sauf que le lecteur, emporté par ladite trajectoire tortueuse de l’écrivain (la digression comme grand écart, comme fil conducteur), ne serait capable de le visualiser, de faire sien ce sujet bien flou (et peut-être poilu, mais rien n’est moins sûr). Toutes les stratégies, décidément, sont bonnes pour noircir la page et aller de l’avant, quitte à faire quelques apparentes sorties de route, se permettre quelques bons mots et aphorismes bien sentis (un genre où Chevillard est passé maître), bref pondre une fois pour toutes ce roman sans sujet dont le sujet absent occupe tout l’espace jusqu’à le saturer.
Pas de risque, donc, que le sujet soit « massicoté au format, réduit à ses plus grossières caractéristiques ». Entre les mains de Gorius, ce tâcheron, « il eût rejoint l’ordre de la banalité où disparaître parmi les non-phénomènes ». Le narrateur, lui, fort heureusement s’intéresse « aux linéaments de son idiosyncrasie », il veut connaître « ses traits les plus fins et les révéler au monde ». Mais Borges, déjà, nous disait que l’expérience esthétique est l’imminence d’une révélation qui n’aura pas lieu. Dès lors, le sujet animal ou conceptuel de Chevillard nous filera irrémédiablement entre les doigts. Tant mieux, l’auteur a ainsi une excellente raison de continuer à écrire.

Guillaume Contré

La Chambre à brouillard
Éric Chevillard
Éditions de Minuit, 208 pages, 18

Le sujet, ce beau souci Par Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°242 , avril 2023.
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