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Poésie Le mouvement sans hâte du poulpe

avril 2023 | Le Matricule des Anges n°242 | par Emmanuel Laugier

Les lignes de sorcières des livres de Pierre Alferi dessinent un art du déplacement. écrire devient une façon d’inventer une autre grammaire.

Une pratique monstre

Qu’est-ce qui commence ainsi l’estomac des poulpes est étonnant/ Si ce n’est un livre une lettre/ Madame l’estomac des poulpes est étonnant le saviez-vous ?  » L’incipit de L’Estomac des poulpes est étonnant (L’attente, 2008) est une entrée nette dans l’univers de Pierre Alferi. Il appelle le devenir-poulpe, bras étalés, avancer ou reculer, sans hâte, se déplacer rapidement par propulsion grâce à une fente située du côté ventral. Ainsi gagnerez-vous immédiatement l’allure de ses mouvements, suspendus et dansés hors de toute gravité terrestre. Pierre Alferi, une pratique monstre, volume collectif d’études, de saluts, d’inédits de l’auteur, revient sur ses livres (poésie, roman, récits, cinépoèmes, dessins, traductions ou essais) comme on suit les tentacules d’un octopus. De Les Allures naturelles (1991) à Divers chaos (2020), en passant par l’aventure (avec Olivier Cadiot) de la Revue de littérature générale (1995-96 – dont Emmanuèle Jawab analyse les enjeux), les livres de Pierre Alferi cherchent une phrase qui avoisinerait la beauté et la grâce du mouvement céphalopode. Les phrases d’Alferi glissent dans ces fonds-là pour tenter de capter en elles toute l’étrangeté qui s’y diffuse, corps microfluos, fibrilles, invertébrés divers et translucides, en autant de traces clignotantes, mais elles s’appuient toujours sur l’expérience de l’ordinaire, du quotidien, des habitudes et du familial.
Une multitude d’opérations infuse donc en elles, faites de croisements, d’étonnements furtifs, l’extraordinaire se logeant dans l’infra-ordinaire. Aussi toutes les choses vues sont restituées mais par le biais de tempi compactés ou élastiques, par quoi les rythmes se multiplient, la vitesse se gagne autant que les ralentis glissent sur des corps qui pourraient se rencontrer. Les plans (dans le roman, le poème, le dessin) se superposent, s’enchevêtrent, les enjambements de la phrase se multiplient (quand même elle semble linéaire), l’art du jeu, des tonalités, des césures, des effets (ruse, ironie, dramatisation, humour, ellipse, etc.) embrassent le fait même de parler et de possiblement écrire, de « chercher une phrase », soit d’actualiser ses virtualités. C’est ce que montre notamment Jan Beatens lorsque celui-ci précise ses recours et logiques et, via Brefs (2016), rappelle que « la coupe n’est plus alors la clôture de l’unité-vers, mais un signe de ponctuation spécifiquement poétique dont la force apparaît dans l’enjambement. Le vers n’est alors qu’un instrument de travail rythmique sur la phrase  ». Le même livre, plus loin, ajoute parmi de multiples pistes qu’un « texte est aussi fait de petites perturbations, de petits tourbillons, de petites boucles, de petits balanciers qui affectent le sens, le rythme ou la syntaxe. (…) Au lieu d’un cercle sémantique, rythmique ou syntaxique ou de plusieurs sortes à la fois, on a une pelote qui épaissit, une oscillation qui se décale ».
Ce pourrait être ici l’une des descriptions de la façon dont procède, pas à pas, chaque livre : courir après la bobine de laine qui relie choses et mots, observer l’estomac d’un poulpe, suivre la figure du huit qui, façon Moebius, s’élargit et se retourne, et décrire les sinuosités que ces verbes approchent pour écrire « la vie silencieuse des organes, ce qu’il y a d’animal dans la pensée même », et « cette zone “en deçà de la personnalité, de l’humanité”  » qui interroge « ce que peuvent vouloir dire parler, écrire ou penser en amont du sens, ou contre la tyrannie du sens » (Éric Trudel). Les livres, dits de poésie, dont le compactage des poèmes de Kub Or (1994), les laisses de Sentimentale journée (1997) par lesquelles sont déjoués les attendus langagiers, la stratégie du Chemin familier du poisson combatif (1992) où le poème devient une cartographie de mouvements étudiés comme au travers des alvéoles d’une ruche, décrivent chacun une confiance donnée en une « myopie motrice ». Celle-ci s’exerce aussi dans les récits « allofictifs » (Les Jumelles, Après vous, Kiwi), dans les poèmes cinétiques et sonores (cinépoèmes que Gaëlle Théval étudie brillamment), et dans tout ce qui interroge le passage de l’écrit à l’écran (Brefs). Elle nous fait sentir comment un jeu de pistes discrètes, jusqu’à l’imperceptible, module la vue et infléchit la voix qui, cherchée, inventée, se multiplie, « pourvu qu(‘en elle) la parole se peuple ».

Emmanuel Laugier

Pierre Alferi, une pratique monstre
de Jeff Barda et Philippe Charron
Les Presses du réel, 232 pages, 23

Le mouvement sans hâte du poulpe Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°242 , avril 2023.
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