Un livre

La Voix sombre

de Ryoko Sekiguchi

Editions POL

Republié en poche après sa première parution en 2015, La Voix sombre, de Ryoko Sekiguchi est un livre délicat qui relève d’une démarche située à la croisée des genres, à mi-chemin entre journal intime, poésie en prose, et traité de phénoménologie de la voix (traversée par les confidences de Jean-Luc Nancy ou le souvenir d’Edouard Glissant…).
L’autrice, traductrice, romancière et poète, plus souvent associée à l’univers du goût qu’à celui de la sonorité, s’y interroge : la voix est-elle physique ? Est-ce qu’entendre la voix d’un défunt le fait exister à nouveau ? La voix est-elle un fantôme comme un autre ? Elle est tantôt ce qui « sombre », le mystère intrinsèque de la signature sonore propre à tout être humain, mais aussi le naufrage inéluctable de cette trace sonore, dès lors que son propriétaire n’est plus.
Dans un monde gouverné par l’image, seuls la radio et les enregistrements maintiennent vivants cette présence intemporelle, cette « incarnation du présent de la personne », qu’est la voix. Et le livre de Ryoko Sekiguchi dès lors, vaut aussi comme méditation sur le temps, sur l’émotion, et sur la trace. « C’est après la fin qu’on se rend compte de la présence dans la voix », écrit l’autrice. Et ce n’est que « soustraite à la vie d’un être que la voix révèle sa présence désœuvrée ». Cette présence pure fait de la voix enregistrée à la fois une élégie, un fantôme familier, une visite parfois inopinée au royaume des morts, en même temps qu’une expérience concrète tant la voix est aussi un accès direct à la physicalité de l’autre : « le grain de la voix équivaut au grain de beauté, aux rides, aux taches, aux muscles et au corps ». Dédié aux « voix chères qui se sont tues » dont parlait Verlaine, La Voix sombre laisse in fine dans l’esprit le trouble d’un souvenir propre à chacun, et son conseil liminaire : « L’objectif ou plutôt la morale à extraire à la lecture de ce livre est seulement ceci : enregistrez la voix de ceux qui vous sont chers ».

Etienne Leterrier-Grimal

La Voix sombre
Ryoko Sekiguchi
P.O.L, 96 pages, 9 €