Les personnages de Patrick Varetz, poète et romancier né à la fin des années 1950 dans le nord de la France, reprennent du service. La veuve Léona, son fils Daniel ou encore le médecin Caudron, rappelle l’auteur dans une note, étaient déjà présents dans ses précédents romans Bas monde et Petite vie, parus chez P.O.L en 2012 et 2015. Daniel figure aussi dans La Malédiction de Barcelone, chez ce même éditeur en 2019. Mais ici, dans ce roman qui, depuis le milieu des années 1970, revient par flashs sur l’histoire âpre du bassin minier calaisien de l’après-guerre, c’est bien la sexagénaire Léona, infirmière à la retraite longtemps au chevet des silicosés, qui occupe le premier plan. Son ex-amant, l’épais et libidineux docteur Caudron dont elle fut longtemps l’assistante, et son raté de fils Daniel ne jouent que les seconds rôles.
Tandis qu’elle occupe ses mains à des travaux d’aiguille – une broderie représentant un mineur –, son esprit vagabonde, tiré par une souvenance quelque peu amère. S’il trouve les mots justes pour faire le portrait de cette femme de caractère inspirée de sa grand-mère, Varetz décrit aussi très bien toute une époque qui tient les femmes à l’arrière-plan, hors-champ. Comme si on ne voulait pas qu’elles apparaissent sur le film de l’Histoire de cette région industrieuse. La remémoration des épisodes de la vie de Léona apparaît comme une purge. Elle se souvient pour mieux se débarrasser de « ce sentiment de soumission dont elle s’est toujours défendue, mais qui l’a presque toujours liée aux hommes qui sont venus contrarier le cours de son existence ». Sachant cela, comment comprendre l’acharnement qu’elle montre, lovée dans son rocking-chair, à achever ce canevas qui dessine le profil d’un mineur, un homme, forcément ? En venir à bout, est-ce en terminer avec « tous ces visages d’hommes qui se bousculent dans sa tête » ? De demi-point en demi-point, démêlant cet écheveau qu’est toute existence, Varetz nous rend attachante cette femme de tempérament qui refuse de céder à la mélancolie – ce serait comme une double peine.
Anthony Dufraisse
Le Canevas sans visage
Patrick Varetz
Cours toujours, 95 pages, 14 €
Domaine français De fil en aiguille
octobre 2023 | Le Matricule des Anges n°247
| par
Anthony Dufraisse
Un livre
De fil en aiguille
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°247
, octobre 2023.