Se donner la mort, porter la main sur soi… d’autres périphrases encore tentent de dire la multiplicité des causes et des formes que, sous son apparente ressemblance, peut prendre le suicide. D’aucuns, alors, espérant ainsi être, au moins dans une certaine mesure, compris, accompagnent ce geste ultime d’ultimes mots. Vincent Platini fait de la lettre de suicide (qu’il va jusqu’à abréger « LdS ») son objet d’étude, l’objet d’une attention à la fois historique et humaine. À l’image du projet de Michel Foucault sur « la vie des hommes infâmes » et de travaux comme ceux de Philippe Artières, il se concentre ici sur les « écrits de morts minuscules : mal fagotés, raturés, ils se nichent justement dans les pliures des jolis mots et du discours admis ».
De 1700 à 1948 (ce cadre temporel est précisément expliqué), Vincent Platini rassemble ici plus d’une centaine de ces « masques mortuaires par écrit », en « dix cercles » liés aux circonstances de l’acte. Les uns écrivent « Face à Dieu » ou à la maladie, d’autres pour régler leurs comptes ou se raconter : « Outre le moment du suicide, les pages charrient des mois, parfois des années de douleurs. Elles pointent un aboutissement de l’insupportable mais aussi un refus de l’indignité ». C’est alors à une sorte de comédie humaine balzacienne en accéléré que nous avons afffaire. Défilent devant nos yeux les femmes trahies et les misérables à bout de forces, des soldats que l’on a privés de leur honneur ou des militants politiques à bout d’espoir, un couple d’amants qui choisit la mort partagée, « l’éclair unique » dont rêvait Baudelaire – ou celui que le mal de vivre terrasse et qui se contente d’un laconique « J’en ai marre ». Avec leur orthographe surprenante et émouvante, quelquefois reproduites telles quelles avec leur écriture tremblante ou rageuse, ces lettres, par-delà les années, nous parlent : « Ces mots méritent le respect des souffrances et les attentions de la lecture ».
Thierry Cecille
Écrits fantômes
Vincent Platini
Verticales, 350 pages, 22 €
Essais À chacun sa mort
novembre 2023 | Le Matricule des Anges n°248
| par
Thierry Cecille
À chacun sa mort
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°248
, novembre 2023.