Accompagné de quatre bois gravés par Jean-Baptiste Cautain, Traverser la rivière, sous-titré « Un manuel pratique », s’origine dans « l’expédition Roubion » à laquelle « tout au long de l’année 2017 » participa l’auteur, en compagnie de trois autres aventuriers de rivière. « Le Roubion est une rivière du sud de la Drôme qui se jette dans le Rhône, aux alentours de Montélimar. Ensemble, nous l’avons longée pendant un an, de janvier à décembre, de la source à l’embouchure, portant nos outils de prédilection : le dessin, les mots, les sons, la marche… Durant cette expédition, nous avons traversé le cours d’eau à plusieurs reprises et pour différentes raisons. Ce texte est issu de cette délicieuse aventure. » Connaissant bien cette rivière et ses affluents le Jabron et la Vèbre, nous ne ferons pas à l’auteur le reproche de ne situer que mal son embouchure : c’est une question disputée selon qu’on la détermine sur la commune de Montélimar, ou bien quatre kilomètres au sud, dans son ancien lit sur celle de Châteauneuf-du-Rhône. Il reste que le Roubion, six dizaines de kilomètres de long, n’est ni l’Amazone ni l’Orénoque, d’où que la durée de l’expédition nous inspire le respect.
Tout l’objet du livre réside dans la promesse de son titre, cette limpide ambition ontologique de savoir enfin ce que c’est que la « traversée » de la rivière. On ne sera pas déçu. « Elle consiste à passer au-dessus, au-dedans ou au-dessous du cours d’eau, systématiquement au-travers de celui-ci. » S’ensuivent les déclinaisons de ces quatre modalités, scrutées à la loupe et définies exactement et dans les termes qui les distinguent dans leur stricte spécificité. Ainsi de la seconde façon : « Traverser par le dedans de la rivière implique de mouiller au moins une partie de son propre corps, ou bien nécessite un habit plus ou moins imperméable et de circonstance, qui empêchera l’eau d’atteindre directement la partie du corps immergée, et qui réduira l’humidification du corps impliqué dans la traversée ». On ne saurait mieux dire. « Les bottes » – ce que sont les bottes et ce que doivent être les bottes pour permettre la réussite de la traversée par le dedans – sont alors impeccablement caractérisées : « La botte de rivière est, a priori, une chaussure imperméable, et permet une traversée de type 2, par-dedans, en prise quasi directe avec les éléments ». Notons dans le « quasi » la prudence toute scientifique de l’auteur : l’épaisseur de la botte, imperméable justement, etc. De la même façon, le scrupule de notre coureur de rivière va jusqu’à ranimer la fameuse et vive polémique quant au « pont » (traversée de type 1, par « en-dessus ») : faut-il dire en empruntant le pont que l’on traverse la rivière ou bien que l’on traverse… le pont ? C’est un point litigieux que l’auteur a la sagesse de ne pas trancher, signe de la meilleure honnêteté intellectuelle.
La traversée « à gué » semble avoir la préférence de Mathias Forge. En particulier la traversée à « gué temporaire dans la rivière asséchée » : quand la rivière n’a plus d’eau du tout dans son lit. Ce qui en 2017 fut le cas pour le Roubion… de juillet à novembre, la boueuse moitié de l’aventure. Il y a de magistrales considérations sur « le tronc », « le bâton » (« Long morceau de bois rond que l’on peut tenir à la main et faire servir à divers usages »). Le chapitre « Sans chaussures… Sans pantalons » est placé sous l’autorité irréfutable de Rika Zaraï. Ailleurs, on trouvera de pénétrantes références à Michel de Certeau, à Gilles Deleuze, au regretté Marcel Amont.
Alexandre Vialatte eût apprécié. Et c’est ainsi que Mathias Forge est grand.
Jérôme Delclos
Traverser la rivière
Mathias Forge
Draw-Draw, 35 pages, 22 €
Domaine français Gué friendly
février 2024 | Le Matricule des Anges n°250
| par
Jérôme Delclos
Sous le prétexte d’un manuel survivaliste, Mathias Forge livre un traité du style qui coule… de source.
Un livre
Gué friendly
Par
Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°250
, février 2024.