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Domaine étranger Au fin fond des bois

février 2024 | Le Matricule des Anges n°250 | par Julie Coutu

Là où la terre se fond dans les eaux, écoutons la voix des Filles du chasseur d’ours s’élever, hurler, maudire, dans un roman sauvage.

Les Filles du chasseur d’ours

On y rencontre une forêt, l’ombre de l’ours, une chaumière abandonnée, sept filles à l’allure et au parfum d’ogresse, des trésors enterrés, une ville sous la neige, une narratrice comme une bonne fée. Et pourtant, Les Filles du chasseur d’ours n’a du conte que l’apparence, et tient les fées, bonnes ou mauvaises, très à distance. Ne serait-ce que par cette odeur qui se dégage de la troupe agitée des filles sauvageonnes et qui envahit chaque mot du texte. Comme si Anneli Jordahl avait voulu écrire un roman (le premier traduit en français) de senteurs (nauséabondes, âcres, boisées, humifères) autant que de froid, d’aventure, de colère, de chagrin, d’amertume et de chasse. De quête plutôt. Car le chasseur meurt, très vite. Dès les premières pages. Abandonnant derrière lui une tribu de crinières rousses échevelées, jamais domptées par une mère acariâtre, ivres de grand air et de mauvaise eau-de-vie. Les codes du conte ; tout est là. Mais pas d’Il était une fois. Le talent d’Anneli Jordahl consiste en grande partie à accrocher, nouer serré le lecteur à la quête des sœurs, tout en désuétude et illusions, dans un environnement contemporain étrangement posé là, en marge des ombres de la grande forêt boréale, et qui se rappelle aux filles par à-coups, quand on ne s’y attend pas quand on l’a oublié, tant il n’est pas à sa place.
C’est qu’elles sont d’un autre temps, les filles du chasseur d’ours. D’un autre temps, d’un autre lieu. Quand elles débarquent en ville, crinières rousses en bataille, puantes et hurlantes, elles sont les derniers ressorts sauvages d’un univers aseptisé, le rappel d’un monde ancien, d’un ordre qui n’en serait pas un. Élevées sans contact avec l’extérieur, elles sont analphabètes et persuadées de la violence et la malveillance des gens de la ville, chez qui elles ne trouvent d’intérêt qu’à l’un de leurs portefeuilles, les jours de grande foire. On les croit grandes, adultes presque ; et pourtant, après la mort du père, puis celle de la mère, c’est une troupe de gamines dépenaillées, immatures, aux rêves trop grands, qui s’enfonce dans la forêt pour disparaître, se soustraire au monde des hommes – des hommes, dont leur père leur a très expliqué qu’elles devaient les fuir comme la peste, sous peine de finir engrossées et cloîtrées, comme leur mère l’était. Livrées à elles-mêmes, les sœurs laissent libre cours à leur violence pour certaines, leurs errances pour d’autres, leur folie peut-être même. À l’aînée qui les régente, elles n’osent pas s’opposer : Anneli Jordahl ne cache rien, des dilemmes intérieurs qui les agitent, de leur rage, de leur impuissance. À les suivre, au plus intime, on comprend vite que ce qui les rapproche – viande, alcool, bains de boue – compte bien moins que ce qui les sépare. Mais la figure tutélaire du père chasseur, véritable légende vivante, leur haine commune de la mère, réduite au statut de servante hargneuse, cette part d’histoire collective, les empêchent de prendre conscience de leurs différences, ou de les assumer. Et à trop se contraindre, les sœurs courent au drame.
Anneli Jordahl livre ici un roman quasi organique, qui page après page génère des réactions presque physiques, tant il se construit de sensations, de mouvements, d’odeurs, « une odeur âcre et tenace de sève de pin, de sueur et de sexe pas lavé », de bruits, de besoins, primaires, à assouvir. Rien n’est correct, propret, civilisé. Les filles du chasseur d’ours sont l’envers du décor, à ce titre elles attirent, autant qu’elles effraient. Jusqu’à laisser leur histoire leur filer entre les mains, pour mieux passer à celles de l’historienne locale. La conteuse, la raconteuse. Celle capable de transformer la matière brute, brutale, en légende.

Julie Coutu

Les Filles du chasseur d’ours
Anneli Jordahl
Traduit du suédois par Anna Gibson
L’Observatoire, 330 pages, 23

Au fin fond des bois Par Julie Coutu
Le Matricule des Anges n°250 , février 2024.
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