Écrit dans les années 1940, L’Homme qui vivait sous terre paraît aujourd’hui dans sa version originelle. Considéré alors comme l’un des premiers grands romanciers noirs américains, Richard Wright (1908-1960) y fait le portrait d’une Amérique raciste, où la violence policière est courante. La dénonciation est particulièrement forte dans la première partie du livre : on y voit Fred Daniels, un jeune travailleur (noir), se faire arrêter dans la rue par un trio de flics (blancs) ; emmené au poste, il est torturé longuement jusqu’à ce qu’il avoue un double meurtre qu’il n’a pas commis. Est-ce ce passage qui a motivé le refus des éditions Harper&Brothers ? C’est ce que laissent entendre les « remarques sur les textes », figurant dans l’édition française.
La suite de l’histoire est dans le titre : un saut dans les égouts, où Fred Daniels, après avoir miraculeusement échappé à la police, va se réfugier et survivre. Ce thème de l’égout et de la vie sous terre est presque récurrent dans la littérature (de Jules Verne à Victor Hugo en passant par Colum McCann). Dans le roman de Wright, la découverte des « dessous » de la ville fait de son héros un autre homme, un illuminé. Ce dédoublement, l’auteur l’explique dans un texte publié en annexe, « Souvenirs de ma grand-mère », presque plus passionnant que le roman lui-même. On y croise Gertrude Stein, Gorki, Virginia Woolf – et l’aïeule de Wright, une femme à la « vision oblique », vision qui lui permet de supporter les blessures qu’inflige aux Noirs l’Amérique du Ku Klux Klan et des lois Jim Crow. « L’idée d’un homme qui se retire du monde ressemblait étonnamment à la vie de ma grand-mère : elle s’était, dans sa vie religieuse, retirée du monde aussi loin qu’on puisse le faire ». C’est « cette étrange forme de distance sociale », cette manière de « schizophrénie » que l’auteur de Black boy a tenté de reproduire dans ce roman pionnier, d’une cruelle actualité.
Catherine Simon
L’Homme qui vivait sous terre
Richard Wright
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Nathalie Azoulai
Christian Bourgois, 240 pages, 18 €
Domaine étranger L’Homme qui vivait sous terre
février 2024 | Le Matricule des Anges n°250
| par
Catherine Simon
Un livre
L’Homme qui vivait sous terre
Par
Catherine Simon
Le Matricule des Anges n°250
, février 2024.