Monique Wittig, la déflagration
- Présentation Guériller la langue
- Papier critique Une entrée dans l’arène
- Papier critique Dans la cohorte ailée des mots
- Bibliographie Bibliographie
- Entretien « Faire revenir Wittig sur la scène littéraire »
- Entretien Tracer des voies
- Autre papier Souvenirs anticipés d’une biographe
- Autre papier Savoir vivre avec son accent
- Autre papier Partenariats
Lorsque paraît Virgile, non en 1985, Monique Wittig est désormais surtout associée au lesbianisme radical. Pourtant ce texte, qui demeure mal connu, est le moins revendicatif de ses romans, le plus ouvert au doute, le plus troublant.
Dès la première page, le « je » détonne dans une œuvre construite contre l’individuation. Une femme seule, « Wittig » (elle emprunte à Jean Genet l’utilisation de son propre nom), entreprend un voyage « classique et profane » dans l’enfer d’une société hétéropatriarcale. Classique car, comme Dante dans sa Divine Comédie, Wittig suit un guide, une femme dont le nom comprend autant de syllabes que « l’opoponax » et sonne aussi bien que lui : Manastabal. Profane car, contrairement à Dante et Virgile, Wittig et Manastabal procèdent dans le désordre. À l’image des livres antérieurs, conçus comme des puzzles, 42 scènes se juxtaposent ici. Les transitions sont tranchantes, de l’extase du paradis aux atrocités de l’enfer, en passant par le « répit » lesbien des limbes, avant de repartir pour un tour. C’est annoncé d’emblée, « il n’y a nulle part où arriver ».
Le point de départ est un « désert au milieu de la terre, une aire de surface battue avec du sable en forme de lames », sorte d’envers des îles utopiques des Guérillères ou du Corps lesbien. Mais on se rend aussi en ville, à San Francisco, faisant de Virgile, non le roman américain de Monique Wittig, qui y vit depuis dix ans. Dans une laverie automatique, un ring, une foire d’empoigne, des « âmes damnées » ou « en détresse » – des « elles » enfin, mais sans que jamais on ne lise le mot « femmes » – sont violentées, achetées, attachées par des « ils » plus faibles numériquement. Wittig et Manastabal assistent à plusieurs parades de corps suppliciés, mutilés. Tandis que la seconde, désabusée face à ce spectacle pathétique, accomplit un sauvetage de fortune, Wittig se tord littéralement de douleur et s’élance pour combattre seule, en vain, tous les tortionnaires.
Il ne reste qu’une unique guérillère – ce « je » solitaire – et la rhétorique habituelle n’a plus cours, la prévient Manastabal : « je te défie bien de leur trouver des particularités propres à leur fabriquer un manteau de gloire. » Ici, « elles » n’est plus héroïque et le véritable enfer s’avère être sa servitude volontaire. « Ah on peut dire qu’être serves, c’est être criminelles ! » s’exclame Wittig, hébétée. La lesbienne errante finit par observer plus souvent qu’elle n’agit au sein de cette arène en proie à la discordance, métaphore douloureuse des conflits de l’autrice avec le MLF. Les « âmes » que Wittig veut sauver tournent leur colère contre elle, l’insultent – « transfuge, renégate », « gouine répugnante » –, font d’elle la martyre d’une cause apparemment perdue.
Mais si le chœur harmonieux de femmes a disparu, demeure la foi dans les pouvoirs de la langue. Wittig l’écrivain en fait une démonstration ironique dans cette scène où la parole d’une « furie » (« Regardez, elle...