Loin d’être un malfrat de haut vol, c’est pour de petits délits (vol de livres par exemple !) que Jean Genet connut la prison à plusieurs reprises et risqua même la relégation. Détenu à Fresnes en 1942, il y composa Le Condamné à mort, poursuivit Notre-Dame-des-Fleurs et entreprit plusieurs pièces de théâtre. L’une d’elles était vaguement connue par des souvenirs imprécis (de Cocteau et Marais notamment) : Héliogabale – aujourd’hui publiée d’après un manuscrit retrouvé à Harvard. Le sujet peut surprendre : les derniers moments d’un empereur romain en 222. Mais on sera moins étonnés si l’on précise que celui-ci fut déjà l’objet d’Héliogabale ou l’anarchiste couronné d’Antonin Artaud en 1934 et qu’en ces mêmes années sombres Camus s’intéresse à Caligula ou Sartre aux Atrides (Les Mouches).
Dès les premières scènes, nous découvrons surtout que les thèmes ici entremêlés sont ceux que Genet, dans toute son œuvre, ne cessera de tisser. Héliogabale, en effet, est promis à une « mort abjecte », comme nombre de ses personnages, mais de cela il « pourrait se réjouir au point… Qu’il en saurait mourir de plaisir ». Traître envers sa famille qui l’a conduit au pouvoir, il se travestit et peut « se métamorphoser en voyou, en marlou, en fille ». Bien qu’il n’ait que 18 ans, ses débauches lui ont fait un « triste petit vieux visage de gamin vicieux » (comparable à celui de l’auteur lui-même ?). Genet marie ici une dramaturgie assez racinienne (« On ne joue bien que solennellement » déclare l’empereur) à une langue riche et métaphorique qui rappelle parfois Une saison en enfer : à la fois vierge folle et époux infernal, Héliogabale « se brûle en dedans et s’écroule en cendres ». Alors que son cocher devenu son amant s’apprête à l’égorger dans les « latrines » du palais, victime s’offrant à son bourreau, il a encore l’énergie, comme Phèdre, d’une tirade testamentaire : « Je regrette ce pouvoir que j’avais de descendre – ou si tu veux – cette possibilité de tomber. Et de tirer à moi, jusqu’à mon enfer, un monde ensoleillé ».
Thierry Cecille
Héliogabale
Jean Genet
Gallimard, 108 pages, 15 €
Théâtre
mai 2024 | Le Matricule des Anges n°253
| par
Thierry Cecille
Un livre
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°253
, mai 2024.