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Théâtre Écrire le silence

mai 2024 | Le Matricule des Anges n°253 | par Patrick Gay Bellile

Dans une langue d’une extrême simplicité, Jon Fosse nous plonge au cœur d’un monde de solitude et d’angoisse.

Avec Vent fort, Jon Fosse, prix Nobel de littérature 2023, revient au théâtre. À l’écriture théâtrale. Après dix années passées à écrire un roman gigantesque Septologie. « Parce que le théâtre est une forme d’art social, et je n’aime pas la vie sociale, ça m’épuise », dit-il dans une conversation avec sa traductrice. Mais il a tout de même eu besoin d’y revenir, même s’il ne suit plus les productions de ses pièces. Jon Fosse écrit en ninorsk, l’une des deux langues officielles de Norvège, langue très minoritaire. Et en ninorsk, il existe un mot « togn » qui signifie silence, mais un silence actif et non passif. Un silence qui n’est pas absence ou simplement cessation de quelque chose, mais « empli de tensions, portées par la parole et les personnages ». Et ce silence est aussi important que les mots qui l’ont précédé. Chez Jon Fosse le silence est essentiel. On pourrait presque dire que son écriture est silencieuse, ponctuée par-ci par-là de quelques mots. Comme si tout se passait dans un au-delà du langage. Dans un ailleurs qu’il peut nous arriver de croiser.
Vent fort est l’histoire d’un homme qui rentre chez lui après quelques années d’absence. Mais chez lui n’est plus chez lui : sa femme a déménagé et un jeune homme vit désormais avec elle. L’intrigue est simple, voilà la situation posée, voilà la problématique à laquelle l’homme va devoir répondre. Mais il n’arrive pas à comprendre ce qui se passe. Comment en est-il arrivé là ? Et depuis quand ? Il en vient à douter de la réalité du temps et de l’espace. Où est-il vraiment, lui qui regarde par la fenêtre parce qu’il a l’habitude de regarder par la fenêtre, mais aujourd’hui tout est différent : « ce n’est peut-être pas devant cette fenêtre / que je m’assois / ou plutôt que je me tiens / depuis toutes ces années ». Le temps lui-même semble s’effacer : «  N’est-ce pas étrange / que dès qu’on a dit maintenant / c’est fini / c’est passé / c’est du passé ». Quant au jeune homme, sa présence semble évidente : « Ils s’embrassent / Celle avec qui j’ai vécu / et lui là / oui ce jeune homme-là ». Et ces trois personnages ne semblent pas appartenir au même monde. Ils se parlent sans s’entendre, et quand ils s’entendent ils ne se comprennent pas. Aux questions il n’y a pas de réponses : qu’est devenue sa fille, leur fille ? Et l’homme perd pied. Le vent souffle, la fenêtre lentement s’ouvre puis tombe, ils sont au quatorzième étage d’un immeuble, le vent souffle fort, de plus en plus fort, et l’homme se penche à la fenêtre. En somme, l’histoire banale d’une rupture amoureuse, pourrait-on dire ; mais ressassée, revue, rêvée, cauchemardée ; cet homme est resté longtemps absent, différentes temporalités semblent coexister, il revit peut-être des situations passées qu’il mélange et superpose. Comme dans un rêve, ce lieu inconnu lui semble familier et pourtant ce n’est pas chez lui, il crie parfois mais personne ne l’entend.
Jon Fosse écrit dans un style très minimaliste, sans aucune ponctuation, usant de mots simples, souvent répétés ; une parole rare constamment entrecoupée de didascalies qui indiquent notamment les pauses très régulières venant rythmer le texte et lui conférant sa musicalité. Les personnages sont désignés par le minimum : l’Homme, la Femme et le Jeune Homme. Ils n’ont pas d’histoire que ce présent disloqué. Ils disent très simplement ce qu’ils pensent au moment où ils le pensent : « C’est ma femme / pas la tienne » « tu dois partir maintenant » « Mais on ne peut pas se la partager / Oui on peut coucher avec elle / à tour de rôle ». L’auteur nous plonge au sein d’une étrangeté d’où l’humour n’est jamais absent. Et il renoue avec les thèmes qui lui sont familiers : l’absence, la solitude, la difficulté d’aimer, l’incommunicabilité entre les êtres. Et le vent qui emporte tout.

Patrick Gay-Bellile

Vent fort,
de Jon Fosse
Traduit du néo-norvégien par Marianne Ségol-Samoy
L’Arche, 64 pages, 13

Écrire le silence Par Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°253 , mai 2024.
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