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Domaine étranger Passe-partout

juillet 2024 | Le Matricule des Anges n°255 | par Etienne Leterrier-Grimal

Le premier roman d’Eugene Marten fait de l’art d’ouvrir les serrures une parabole romanesque qui parle de survie en milieu hostile.

Dans Ordure (Quidam, 2022), Eugene Marten relatait la « relation » entre l’habitant d’un sous-sol obscur et un cadavre trouvé dans une poubelle. Auteur d’ouvrages dont la force caustique tient souvent dans la peinture d’un univers à la cruauté implacable, Eugene Marten a quelque chose du dynamiteur de l’american way of life de ce début de XXIe siècle (il est né en 1959). Le contempteur narquois d’une opulente bien-pensance, observée depuis le point de vue des déshérités et par les marginaux des bas-fonds.
En aveugle en reprend la logique exploratoire en mettant en scène un homme sorti de prison dont le retour au quartier à des allures d’Odyssée inversée : à la place d’un foyer et d’un titre, le protagoniste ne retrouve rien, ou presque. Bien plus, il se trouve à tout devoir reconstruire, ce qui suppose l’apprentissage d’une certaine façon de se conformer au monde. Le roman trouve assez rapidement sa métaphore structurante dans l’opportunité providentielle qui s’offre au protagoniste : un job auprès d’un serrurier syrien et de son employé, Yusuf et Ibrahim. Chez cet ancien détenu qui porte en lui le souvenir des portes et les verrous de la prison, la boutique du serrurier, lieu où se grave, s’use, se lime et se polit le métal qui permet l’accès à tout, devient le lieu d’une nouvelle conformation de soi nécessaire face au réel, d’un art de se faire passe-partout. L’art d’ouvrir les serrures comme prolongement de la levée d’écrou.
Dans un parcours en tous points picaresque, toute l’évocation du travail de la serrurerie connaît ainsi sa description, minutieusement formulée, grâce à une phrase qui fore la langue et dont les implications sont souvent à lire de façon métaphorique : « Ai pris le grand trombone qui fixait le contrat de location, l’ai déplié pour former un L en son extrémité. Mécanisme dans la paume de la main, j’ai enfoncé le bout dans le trou de la serrure, dans ce qui à nouveau avait été relégué dans le noir, n’existait plus que là et dans mon esprit. J’ai farfouillé à l’intérieur, à l’affût d’une prise, jusqu’à ce que je la sente. J’ai poussé vers le haut et ça a fini par céder ».
Il s’agit bien pour le protagoniste d’apprendre, dans le processus de retour à la société, à percer les règles du jeu, faire jouer les pivots, sentir les résistances. En aveugle joue dès lors à montrer les mécanismes, déjouer les rouages du social, et offre ainsi par son protagoniste un accès possible à ce que cachent les portes, les coffres de voiture, et les valises, quitte à flirter du mauvais côté de la légalité. Ou bien il suggère l’accès métaphysique du monde, qui est in fine la direction que prend cette quête exploratoire des bas-fonds : « ou comment crocheter une serrure sur le plan quantique, là où Dieu ne s’en mêle plus. Où ce sont les molécules qui en ouvrent d’autres ». Dérisoire épopée du barillet social.
Un autre barillet fait parfois son apparition dans En aveugle. Celui des flingues, qui peuvent parfois sortir à l’improviste, à l’occasion d’une embrouille. Laissant souvent alors un narrateur mélancolique faire entendre sa froideur monocorde et donner à lire toute la lucidité d’un regard désabusé. « Je dormais de moins en moins. Gagnais du fric mais n’avais rien dans quoi le dépenser. Sale goût dans la bouche. J’aurais pu me permettre de trouver une meilleure piaule, mais avec Doris, je n’étais pas certain de savoir où j’en étais ». Ce narrateur voué à ausculter un monde dont il perce en même temps les rouages, fait d’En aveugle, en plus d’un roman de critique sociale, une forme d’étrange polar sans crimes, où les laissés-pour-compte sont autant de cadavres sociaux. Et où le destin se résume à « un million de combinaisons possibles ».

Etienne Leterrier-Grimal

En aveugle
d’Eugene Marten
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Stéphane Vanderhaeghe
Quidam, 304 pages, 22

Passe-partout Par Etienne Leterrier-Grimal
Le Matricule des Anges n°255 , juillet 2024.
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