Dans le petit domaine des lettres françaises contemporaines, un auteur qui n’écrit pas « Je » à chaque début de phrase, fait figure de suspect. Si cet étrange individu, aux prétentions littéraires avouées, s’entête à situer l’action de ses romans dans un antiquité très lointaine, c’est alors forcément un emmerdeur de première. Si, enfin, ce rebelle s’ingénie à créer avec un peu de religion, pas mal de mysticisme, quelques gouttes de sciences et le mythe de la naissance de l’écriture de quoi tenir en haleine ses lecteurs, c’est alors un imposteur. Il ne saurait être vraiment français, il est le nom d’emprunt d’un Umberto Eco ou d’un Borgàs. Ainsi le soupçon sur la réelle identité d’un dénommé Alain Nadaud était légitime après la sortie de son premier recueil de nouvelle, La Tache aveugle, dont la préface injurieuse est signée André Locust, personnage que l’on retrouve justement dans une des nouvelles du recueil…
Seulement voilà, si André Locust est à ranger au rayon des impostures littéraires, Alain Nadaud a continué, bon an mal an, à signer romans et nouvelles. Au point de constituer autour de son nom, une connivence de fidèles lecteurs aux propos entendus : « Tu as lu le dernier Nadaud ? ». Pire, la revue littéraire Quai Voltaire, saluée élogieusement avec la régularité d’un métronome par la presse spécialisée se trouve justement dirigée par le même Alain Nadaud. Non seulement le bonhomme poursuit son chemin romanesque mais en plus il se permet de réunir quelques belles plumes pour proposer une réflexion sur l’état de notre culture. La dernière livraison de la revue est en ce sens exemplaire, elle intervient parallèlement à un essai de son directeur, Malaise dans la littérature.
Alain Nadaud existe donc vraiment ? Oui, d’ailleurs nous l’avons rencontré dans son appartement parisien perché au sixième étage d’un immeuble qui offre toute la tranquillité des Buttes-Chaumont juste en face. Alain Nadaud est né en 1948 à Paris où il vécut jusqu’à l’âge de sept ans. Ces parents décident alors de le mettre en pension à Igny dans la vallée de la Bièvre. Une mise en pension qui ressemble à une mise à l’écart de la famille, puisque l’enfant, hors période scolaire, partira chaque année en colonie de vacances. Alain Nadaud ne veut pas revenir sur cette époque, mais s’il refuse d’en parler, il annonce que ce sujet constitue le thème de son prochain roman, Années mortes dont le manuscrit, achevé, se trouve dans son bureau. « Ce sera la première fois que je parle de moi. J’ai horreur de ça. » L’écrivain se souvient de cette époque : « C’était une pension très austère avec des dortoirs de deux cents lits. On se croyait à l’armée. Quand tu débarques là, tu as l’impression que jamais tu tiendras le coup. L’idée d’y passer huit ans de ma vie a généré une angoisse insupportable. Jamais je n’ai pu m’endormir dans ce dortoir sans m’être au préalable raconté une histoire que j’inventais au fur et à mesure. C’est à ce moment-là que s’est élaborée la fuite...
Dossier
Alain Nadaud
Alain Nadaud : La recherche du zéro de l’écriture
Alain Nadaud est l’auteur de superbes romans d’aventures métaphysiques. Il est surtout un acteur engagé du monde des Lettres. Septembre nous offres à la fois un nouveau numéro de Quai Voltaire la revue qu’il anime et d’un essai Malaise dans la littérature. Portrait d’un homme exigeant.