Sous l’apparence d’un déroulé romanesque, les confessions d’un bourgeois de Sàndor Marài ont la force d’un journal de toute une vie, cette vie « qui se révélait à moi au hasard, détail par détail, pièce après pièce, comme une chaîne de montage » avec ses failles, ses aveux, ses émotions. Si le lieu de la confession est généralement un confessionnal, son livre serait une sorte d’isoloir où le lecteur, dans le rôle du prêtre, recueillerait sa pénitence. « Tel un messager ayant survécu à une bataille perdue, qui dans un souffle délivre son message, je n’aspire plus qu’à me souvenir et à me taire », lâche-t-il à la fin de ses mémoires. Marài n’a pourtant rien à absoudre, si ce n’est cette fatalité génitrice, ce symptôme du déracinement d’une classe (la bourgeoisie) en voie de disparition.
Né en 1900, Marài est issu de la bourgeoisie hongroise. Il se souvient avec une précision implacable de ses ancêtres, riches artisans d’origine saxonne ou morave, fait revivre une galerie de portraits saisissants, dont il a épousé leurs idéaux, sans nostalgie, mais conscient d’une trace indélébile sur tout son être : « Si quelques-uns de ces défunts ont cessé d’exister pour moi, d’autres survivent encore dans mes gestes, dans la configuration de mon crâne, dans une façon de fumer et de faire l’amour » dit-il.
Comme un écheveau d’espoirs et de doutes, ses confessions mêlent son sentiment de caste à celui de son itinéraire d’homme épris de liberté. Journaliste au Frankfurter Zeitung, il voyagera ensuite beaucoup (Berlin, Paris, Rome, Londres, Damas) et s’installera entre les deux guerres avec sa femme Lola dans des conditions souvent oisives et précaires. ses voyages lui serviront à affiner son rôle d’écrivain dont « le but est d’atteindre ces galeries souterraines où le guettent tous les dangers : éboulements, cataractes, coups de grisou. »
A une époque où des peuples s’entre-déchirent pour préserver leurs racines, le témoignage de Marài est d’une fulgurante lucidité.
Il montre la fidélité dans ce qu’elle a de plus chère : l’humilité.
Les confessions d’un bourgeois
Sàndor Marài
traduit du hongrois par
Georges kassai et Zéno Bianu
Albin Michel
461 pages, 160 FF
Domaine étranger Marài sur le divan
octobre 1993 | Le Matricule des Anges n°5
| par
Philippe Savary
Un livre
Marài sur le divan
Par
Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°5
, octobre 1993.