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Nouvelles Mickey dans les manèges

février 1994 | Le Matricule des Anges n°7

Née en 1958, Anne Farrer s’occupe de questions juridiques à la Direction départementale de l’agriculture à Evreux. Si elle n’ a jamais publié, en revanche, depuis trois ans, elle se consacre à son premier roman qu’elle vient tout juste d’envoyer à quelques maisons d’édition. Mickey dans les ménages a été écrit il y a une dizaine d’années. Elle déclare aimer Marguerite Duras, Patrick Modiano, Christian Bobin et Ernest Hemingway. Dernier livre acheté : La Brisure d’Héléne Lenoir (petite déception).

Les gens arrivaient de là-bas. Pour la plupart, c’était de vacances que les gens rentraient. Défaits, le visage et les mains hâlés, indisposés par l’hiver. Ils attendaient leurs bagages dans un hall froid de l’aéroport, debout autour d’un tapis roulant qui décrivait un grand cercle. Le tapis roulant était relié directement à la soute de l’avion, mais on ne voyait pas comment. On ne voyait pas la soute de l’avion. On savait seulement que c’était de là-bas, du fond du hall, que les bagages arriveraient sur le tapis roulant. L’avion, on ne le voyait pas. Mais l’avion, les gens auraient préféré le voir et voir comment le tapis roulant entrait dans l’avion et comment l’acheminement des bagages jusqu’à eux était rendu possible. C’étaient leurs bagages, les bagages des gens.
D’ailleurs pour l’instant, rien n’était rendu possible. Le tapis s’était bien mis en marche, il roulait, mais avec rien dessus. Les gens guettaient l’apparition des valises, sacs, ensembles sacs et valises assortis.
Ne pas manquer le passage du bagage, se disaient-ils. Sinon, attendre un tour entier. C’était comme une version plus lente et moins amusante du jeu de la queue du Mickey, dans les manèges.
Au bord du tapis roulant un couple était là, un peu à l’écart des autres. Peut-être rentraient-ils aussi de vacances, mais ils rentraient surtout de chez eux. Autrement dit, là-bas, c’était chez eux. Ils étaient vêtus de djellabas mais la djellaba étant leur vêtement habituel, il ne fallait pas s’étonner qu’ils fussent vêtus de djellabas, ce jour d’hiver à Orly-Sud. D’ailleurs, ils n’avaient pas l’air indisposés par l’hiver. Ils ne manifestaient pas d’impatience et restaient immobiles, à la différence des autres qui commençaient à exécuter quelques mouvements sur place pour lutter contre le froid : frottements de mains, sautillements d’un pied sur l’autre.
Les gens sautillaient d’un pied sur l’autre dans leurs tennis. Qu’on ne se méprenne pas : des tennis en décembre parce que, deux heures plus tôt, au décollage de Djerba, il faisait près de vingt degrés au sol. Voilà pourquoi des tennis en décembre.
Un attaché-case apparut bientôt au bout du tapis roulant. L’attaché-case vacillant et isolé, antipathique, annonçait les bagages plus normaux, les sacs mous et les valises amoncelés en désordre. Les gens étaient contents et surpris que leurs bagages fussent bien là : valise polyuréthane modèle luxe, sac vynil grainé façon cuir. Des personnes n’avaient pu s’approcher à temps et leurs bagages s’étaient éloignés pour un tour supplémentaire. C’est là que fugitivement les gens se souvenaient du jeu de la queue du Mickey, dans les manèges.
Des bagages tardaient à apparaître. On attendait un sac de cuir fauve, une valise bleu foncé avec des roulettes. Les gens disaient que les erreurs d’acheminement étaient possibles, qu’il leur était arrivé à eux, les gens, de perdre des bagages, des bagages de prix, embarqués dans un autre avion. Les gens disaient que ces pertes étaient courantes. Parmi ceux qui racontaient, on écoutait de préférence les gens qui avaient perdu les bagages les plus luxueux sur les vols les plus lointains.
Donc il était question de bagages luxueux, de vols lointains, quand un gros rire s’éleva dans le hall froid de l’aéroport. Sur le tapis roulant une valise de carton bouilli s’avançait, éventrée en son milieu. Une partie du contenu -des dattes- s’était répandu et restait collé au carton bouilli, entre les ficelles. Les dattes étaient écrasées, vraiment bien écrasées. Des gens s’approchaient pour voir comment elles étaient écrasées.
Le carton bouilli était bien écrasé lui aussi. Mais rien d’étonnant à ce que du carton bouilli s’écrase. Et toutes ces ficelles. C’étaient pourtant pas les ficelles qui auraient pu empêcher que le carton bouilli s’écrase.
La valise crevée réalisa un tour complet sous les rires des gens, de tous les gens debout de part et d’autre du tapis roulant. Il n’y avait que les Maghrébins, le couple d’origine méditerranéenne qui ne riait pas. On observa un moment le couple d’origine méditerranéenne.
La valise crevée réalisa plusieurs tours complets, exposant drôlement à chaque passage les dattes écrasées, les ficelles en désordre, et vraiment on riait de bon cœur. Plusieurs tours complets, et personne ne s’était manifesté pour venir la prendre.
Les derniers bagages arrivèrent, dont une valise bleu foncé à roulettes. Le hall froid de l’aéroport s’était vidé peu à peu. Un homme attrappa la valise bleu foncé, mit en place le dispositif des roulettes, ce qui lui prit un peu de temps. Puis il s’éloigna, tirant derrière lui son bagage. Avant de sortir il se retourna, constata qu’il n’y avait plus personne dans le hall et que sur le tapis roulant, la valise crevée tournait toujours.

Mickey dans les manèges
Le Matricule des Anges n°7 , février 1994.