Pas de fin de partie
pour Louis Calaferte
Le deux mai dernier il n’y avait qu’un nom sur les lèvres des journalistes et du grand public. Un homme venait de mourir et c’était aussitôt flashes spéciaux, éditions impromptues, tohu-bohu généralisé. C’était un héros. Ayrton Senna, pilote automobile mourrait en pleine gloire, ultra richissime, adulé, surmédiatisé. De Louis Calaferte, parti dans la nuit du 1er au deux mai ; rien ou presque. L’homme l’avait cherché. Malgré des débuts tonitruants en littérature, l’auteur de Septentrion avait rejeté la foire médiatique, les petits salons, les sourires bonimenteurs. Ermite dans son petit village de Bourgogne, Louis Calaferte cultivait cet amour de la vie qui ne pouvait pas faire de lui un tiède. Généreux, il envoyait des messages par le biais des revues littéraires et nous offrait de temps en temps ou un livre ou une exposition de peinture.
L’œuvre dramatique de Calaferte, telle qu’elle apparaît dans ces pièces baroques qui viennent clore les trois tomes de son théâtre complet, donne à voir le rapport que l’écrivain entretenait avec le monde. Rapport conflictuel qui trouve sur la scène le lieu idéal de la confrontation. Le théâtre de Calaferte est un théâtre « frontal » dans la mesure où ce qu’il montre c’est nous, les spectateurs, nous les agents et les victimes d’une société qui nie la vie. La scène agit comme un miroir. L’image qu’elle crée n’est pas une caricature, elle n’est pas déformée, elle est seulement le reflet de ce que nous ne pouvons pas voir sans elle. Il y a du Beckett dans Calaferte mais un Beckett dont le nihilisme aurait fait place à un trop-plein. Il y a du Ionesco, également, mais un Ionesco spontanément violent, cynique, exubérant. Dans ses indications scéniques, nombreuses et très précises, Calaferte insiste souvent sur la spontanéité que doivent trouver les acteurs. La mise en scène s’effectue au premier degré, elle exclue la glose, elle se veut directe. Du coup le non-sens, l’absurde, appuyés par un humour dont l’éventail va de la farce à l’ironie grinçante, sont donnés comme fondement même de l’univers théâtral. Ce théâtre est absurde parce que le monde est absurde. L’Amour des mots (1977) joue, à la Tardieu, de cette correspondance. Les mots perdent leurs sens, ce qui n’empêche pas les deux protagonistes de se comprendre, et, plus grave encore, ce qui ne nous empêche pas de suivre parfaitement ce qui se joue.
La présentation par ordre chronologique des ces pièces montre l’évolution de l’écriture théâtrale de Calaferte Ainsi, Mégaphonie (1963), qui, si elle fait figure de pièce prophétique n’en demeure pas moins très marquée par le temps, montre combien Calaferte a dû avoir du mal à se dessaisir du discours pour faire place à l’action, à la dramaturgie. A l’opposé de Mégaphonie, Un Riche, trois pauvres (1986), multiplie les tableaux, rapides commes des coups de flash, sans qu’il n’y ait souvent de paroles. Le montage serré de la mise en scène fait écho au texte des pièces précédentes qui jonglent avec les ruptures de ton, passant du comique au tragique en une tirade, jouant des registres pour n’en garder que les plus extrèmes, les plus violents. Il y a un sentiment de pléthore du monde à la lecture de ce théâtre, comme si la vie nous débordait, comme si elle engloutissait les personnages si orgueilleux qu’ils pensent pouvoir s’en sortir. Or, c’est bien connu, la vie est une maladie mortelle, on n’y réchappe pas.
Cette vie, bouillonnante, Calaferte ne la met pas seulement en scène. Il la met également en musique. Opéra bleu (1977) ou Les oiseaux (1989) font la part belle à la ritournelle et à la chansonnette, avec une énergie ludique qui fait un pied de nez à tous les poncifs chers aux théâtreux parisiens tels que l’auteur les dénonce dans ses carnets (publiés aux éditions de l’Arpenteur et chez Denoël).
La grande force et le drame de Louis Calaferte c’est justement de ne s’être pas engagé dans les grands chemins de la mode, d’avoir toujours voulu suivre ses impulsions (d’où quelques colères vis à vis des pouvoirs en place dans l’édition, le théâtre et le journalisme). Résultat : une œuvre forte (mais parfois, tout de même inégale) et une censure molle (comme il y a des ventres mous). Pour qu’il ne reste, de cette posture, qu’une force, les amis de Calaferte devraient lui rendre hommage, à l’automne prochain à Blois. Ce sera l’occasion de voir à nouveau des toiles peintes par l’écrivain, de découvrir ses « objets poétiques » et de voir le film que J.-P. Peauty lui a consacré et que nos chères télévisions continuent de ne pas vouloir diffuser.
Théâtre complet
Pièces Baroques I et II
Editions Hesse
2, pl. du château 41100 Blois
414 et 440 pages,
159 FF chacun
Théâtre Pas de fin de partie pour Louis Calaferte
Mort le 2 mai, Louis Calaferte aura tout juste eu le temps de voir la sortie des deux derniers tomes de son théâtre complet. Où l’on retrouve l’énergie salvatrice d’un homme pour qui le monde, c’est le cirque. Drôle, tragique et absurde, bref décapant !.