L’écriture de Gil Jouanard impose un autre rythme de lecture que celui auquel notre siècle nous a habitués. Il faudrait, comme un orchestre avant le concert, accorder chaque élément de notre environnement, se faire offrir le silence et la quiétude, avant de se laisser accompagner par les méditations de l’auteur. Si l’on accusait Gil Jouanard de n’être pas de ce temps, l’écrivain aurait sans doute du mal à se défendre. Il lui vaudrait mieux plaider coupable et tenter d’obtenir les circonstances atténuantes. Sa plaidoirie, comme il se doit, ressuciterait l’enfance : « entre ma septième et ma vingtième année, j’appris à disparaître entier dans la contemplation ». Ecrits ces deux ou trois dernières années, les textes courts, lectures de photos, souvenirs, méditations, rassemblés dans Le Goût des choses tentent tout à la fois d’ouvrir le monde, ou de nous ouvrir à lui, et de fixer dans la mémoire un instant fugace, une impression fugitive. « Le premier sourire des temps humains vint sur vos lèvres ; tout fut saisi d’un frémissement et s’arrêta, durant l’espace fragile d’une éternité. » Il est ainsi des découvertes qui jamais n’épuiseront notre émerveillement. On en frémit, on en redemande. Hélas, Gil Jouanard ne va pas puiser son eau toujours à la même source et il nous livre, ici, des textes de circonstances qui ne furent peut-être pas écrits dans la même ferveur. Rien cependant qui ne vaille pas la peine d’être lu, mais dans la juxtaposition des textes, les plus faibles souffrent d’autant plus d’être les voisins des plus sublimes. Il est vrai également que les choses n’ont pas toute le même goût…
Bonjour, monsieur Chardin eut fait un trop long chapitre au recueil publié par les éditions Verdier. Deyrolle éditeur en a donc hérité. Il semble en fait que Gil Jouanard ne veuille être publié que par ces éditeurs irréprochables qui offrent aux textes leurs écrins de papier ; sa bibliographie mentionne ainsi, Fata Morgana, Jacques Brémond, Slatkine, etc. Bonjour, monsieur Chardin commence comme un pamphlet, un haussement d’épaules un peu las contre « les producteurs d’œuvres artistiques, persuadés qu’ils sont de se trouver à tout moment à la veille de changer le monde du tout au tout » et se finit en hommage. Hommage à Jean-Baptiste Siméon Chardin peintre réaliste français du XVIIIe siècle et hommage à Jean Follain le poète du quotidien mort en 1970, renversé par une voiture. Encore que le premier soit à sa façon un poète et l’autre un peu peintre. Voilà donc où s’inscrit ce Bonjour, monsieur Chardin, avec son titre à la Tati. Hymne aux choses simples, il est, cet essai, un manifeste du savoir-écouter, du savoir-observer. Il y a tant de fureur aujourd’hui, tant de frénésie à vouloir marquer son passage sur terre, que les traces laissées par les hommes déchirent le silence et la beauté du monde. Au risque de passer pour un réactionnaire, avec une pointe de provocation (les « producteurs » n’ont pas droit à être des « artistes) », avec beaucoup de persuasion (au point d’insuffler le désir d’une visite à Chardin, au Louvre), Gil Jouanard rejoint sur son chemin un Pierre Michon, un Christian Garcin. C’est un peu une même famille, et de les savoir là, attentifs à la vie, nous offre la certitude d’un abri, d’un havre de paix.
Le Goût des choses et
Bonjour, monsieur Chardin
Gil Jouanard
Verdier et Deyrolle éd.
105 p., prix n.c. et 51p., 60 FF
Domaine français Hymne au quotidien
décembre 1994 | Le Matricule des Anges n°6
| par
Thierry Guichard
Gil Jouanard n’est pas un homme pressé. Bonjour, monsieur Chardin et Le Goût des choses ou le doux murmure qui défie la valeur marchande du temps.
Des livres
Hymne au quotidien
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°6
, décembre 1994.