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Domaine étranger Céline à la russe

décembre 1994 | Le Matricule des Anges n°6 | par Thierry Guichard

Si la famille que nous présente Ludmila Petrouchevskaïa reproduit en son sein le chaos de la Russie actuelle, l’Occident a de quoi s’inquiéter.

Cris, injures, hurlements, larmes : le premier roman traduit en français de la Russe Ludmila Petrouchevskaïa est une bourrasque de bruits et de fureurs. La narratrice de La Nuit m’appartient est plus proche de la langue de vipère que de la poétesse. C’est pourtant, dit-elle, la poésie qui lui tient lieu de profession et qui lui rapporte annuellement quelques dizaines de roubles et la fierté de son titre lorsqu’elle s’adresse aux passagers d’un bus, ou à une infirmière d’hôpital psychiatrique. Son autre fierté à Anna, c’est d’avoir un nom presqu’identique à la grande femme de lettre Anna Akhmatova ; comme si cela suffisait. Ajoutons que son seul bonheur dans l’existence c’est Tima son petit-fils, son espoir, sa flamme.
Voilà, c’est tout ce que l’on pourrait inscrire à l’actif d’Anna sur le carnet de la vie. Le reste, tout le reste, s’inscrit dans la colonne des débits.
A commencer par la famille. Quelle catastrophe ! Le mari s’est sauvé, la fille se fait engrosser à qui mieux-mieux notamment par un improbable gendre qui ne souhaite qu’une chose : échapper au service militaire. Le fils, lui, sort de prison et s’apprête à y retourner, l’alcool et les fréquentations qui égrènent son ennui le rendant particulièrement agressif. La mère d’Anna, enfin, est parquée dans un hôpital psychiatrique où sa fille fait tout pour retarder sa mort. C’est cette vieille folle qui lui permet de survivre à la misère, puisqu’elle récupère la pension versée par l’état. La mort de la grand-mère ruinerait un peu plus encore Anna. Pour les sentiments, vous repasserez, l’époque n’est pas aux épanchements, il faut manger, grappiller les miettes des repas que d’autres peuvent encore faire. Les humains ressemblent aux hyènes. A côté, Zola c’est du Barbara Cartland. Difficile de faire plus sombre.
Seulement voilà, Ludmila Petrouchevskaïa n’est pas une adepte du naturalisme. La romancière russe préfère la dérision, l’humour, le comique le plus acharné pour brosser le portrait d’une Russie à l’agonie. En entrant chez Anna, on entre dans un tourbillon de vociférations, une vie grouillante qui n’a plus que les rapports de force pour seuls rapports humains. Vision apocalyptique de la Russie, désabusée et comme laissée pour compte par l’Occident, terreau de tous les extrémismes et de la violence, creuset de l’alcoolisme et de la misère, c’est de l’intérieur que se fait la visite, avec Anna la gouailleuse qui voit en sa fille « une mégère aux gros seins, criarde » mais qui, s’interrogeant sur sa faculté à éprouver encore des sentiments terminera sa confession seule et en larmes. Pour continuer à vivre il faut, là-bas, oublier sa dignité, oublier les liens du sang, oublier le passé. La quête d’un peu de pain, de quelques roubles, nécessite une telle dépense d’énergie qu’il faut presqu’oublier qu’on est humain. Anna est un monstre de cynisme, un vrai sac de bile humaine, on rit d’elle, de ses propos outranciers qui la rendent au moins autant mégère que sa fille, et puis, peu à peu, on comprend combien il lui a fallu se défaire de tout humanisme, combien elle a dû accumuler de haine pour préserver Tima de son amour. Il n’y a aucun espoir dans ce livre et toute son énergie, toute sa fraîcheur vient de là, de ce désespoir halluciné, d’une lucidité qui confère à la fatalité. La fin du roman est bouleversante parce qu’Anna, qui achève sa confession, quitte la scène et l’espace qu’elle emplissait de ses gesticulations, et le silence qu’elle recouvrait de ses jérémiades, reprennent brutalement leur inexorable immobilité.

La Nuit m’appartient
Ludmila Petrouchevskaïa

traduit du russe par
Anne Coldefy-Faucard
Robert Laffont
152 pages, 99 FF

Céline à la russe Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°6 , décembre 1994.