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Domaine étranger L’objectivité littéraire

décembre 1994 | Le Matricule des Anges n°10 | par Christophe David

Dans une Espagne qui ne revit qu’en oubliant, le Catalan Vásquez Montalbán plaide pour la mémoire contre l’amnésie. Sortie de Moi, Franco.

Bien qu’il s’agisse d’un travail de part en part romanesque, Moi, Franco de Vásquez Montalbán est aussi une réflexion sur la façon dont on écrit l’Histoire. Pour le centenaire de la naissance du Caudillo, un « jeune éditeur » madrilène demande à un « vieux vulgarisateur » de lui écrire une autobiographie de Franco : « Tu dois appliquer la même fausse objectivité que Franco aurait employée pour lui-même, et tu dois donner le ton de cette collection dans laquelle paraîtront par la suite Staline, Hitler, Lénine… ».
Martial Pombo accepte de prêter sa plume au Caudillo pour écrire son « autobiographie » ou plutôt de la partager avec lui pour écrire, comme il dit, « notre autobiographie ». Comment se résoudre à faire œuvre d’historien « objectif » quand on est soi-même partie prenante de la période que l’on veut décrire ? En rédigeant cette « autobiographie » de Franco, Martial Pombo refuse d’oublier qui il est. « Les historiens de demain, et même ceux d’aujourd’hui, n’auront pas eu l’expérience de la cruauté, de la prétention, de la médiocrité du franquisme. » Lui, il a connu le franquisme de l’intérieur et refuse de laisser le Caudillo réécrire l’Histoire sans lui opposer, en contrepoint, d’autres voix : la sienne, celle de son père, celles de sa famille et des dizaines de milliers de victimes que la trop consensuelle Espagne de la transition a décidé d’oublier de peur de « prendre dans la figure le boomerang de la mémoire ». Des « bruits » que refuse d’entendre son éditeur : « Dans cent ans vos sentiments de haine, d’impuissance, de défaite, de peur se seront envolés mais Franco, lui, sera toujours ne serait-ce qu’une entrée dans les dictionnaires encyclopédiques, quelques lignes dans les manuels d’histoire, ou sur les vidéos, ou sur les disquettes, bref sur les supports que l’avenir choisira pour stocker sa mémoire. Et dans ces quelques lignes, il n’y aura aucune place pour vos souffrances, votre rage, votre ressentiment ».
Avec ce livre étonnant qui, lorsqu’il laisse parler Franco, ne tombe pas dans la parodie facile mais construit la juste et donc anémique réthorique de la médiocrité, Vasquez Montalban met en évidence les contradictions de l’historiographie lorsqu’elle écrit l’Histoire récente. La scientificité de l’histoire n’est garantie que par des réductions : l’histoire positiviste opère une forclusion de la mémoire subjective de l’historien qui a vécu ce dont il parle. Son témoignage n’a plus de valeur que documentaire et pourtant il contient plus que ne contiendra jamais le pâle reflet que l’historien « objectif » reconstruit. A une Histoire faite de bruit et de fureur doit répondre une historiographie faite de « bruits » et de rage, les « bruits » et la rage de la mémoire, une histoire qui ne saurait être une marchandise présentable pour l’éditeur Ernesto Amescua qui finit par censurer Martial Pombo et qui n’est qu’une figure de notre nihilisme et de la volonté de consensus qu’il induit. « Dans le comportement d’Ernesto, je retrouvais l’esprit de cette bande d’historiens « objectifs » qui sont en train de réécrire votre histoire, Général, en la lardant de « oui, mais… » et de « non, mais », obsédés par l’asepsie historique, à la recherche du désodorisant historique capable de combattre l’odeur du sang et de la charogne ».

Manuel Vásquez Montalbán
Moi, Franco

traduit de l’espagnol
par Bernard Cohen
Seuil
554 pages, 145 FF

L’objectivité littéraire Par Christophe David
Le Matricule des Anges n°10 , décembre 1994.