Il est des écrivains qui flirtent le temps d’un ou deux livres avec le genre policier ou le roman noir. C’est le cas de Luis Sepúlveda avec son dernier roman Nom de torero. Si l’on en croit la dédicace, c’est Paco Ignacio Taibo II qui l’a « embarqué » dans « l’aventure du roman noir ». Mais plus qu’un guide, Paco Taibo est un complice et ils partagent une même esthétique du roman noir. Sa forme leur paraît inséparable d’un certain contenu. « Dans ces histoires les individus que je considérais comme de mon bord perdaient systématiquement mais ils savaient pourquoi ils perdaient comme s’ils s’étaient donné pour tâche de formuler la plus contemporaine des esthétiques : l’art de savoir perdre ».
C’est parce qu’il est un roman de la défaite que Nom de torero est un roman noir. Pour Juan Belmonte, le héros du roman, la défaite, c’est d’abord la défaite politique, puis l’exil et le mode de vie qu’il impose et enfin la nécéssité de survivre avec l’espoir que sa compagne, Veronica, torturée par les militaires chiliens sortira de l’ « autisme » dans lequel elle s’est réfugiée. Bref, la défaite c’est quand on a tout perdu.
Or dans l’Allemagne d’après la réunification, « il n’y pas de place pour les perdants ». La jeune démocratie chilienne, elle, trouve son fondement dans l’oubli (processus de transition dont Vasquez Montalban fait une analyse rigoureuse sur l’exemple espagnol dans Moi, Franco) : « Quand la démocratie a ouvert ses cuisses au Chili, elle a d’abord annoncé le prix et la monnaie dans laquelle elle s’est faite payer s’appelle oubli ». Quand Juan Belmonte rentre au Chili, on lui annonce d’emblée la couleur : « Nous sommes en démocratie et tout le monde est content. Les choses ont changé et en mieux, alors n’essayez pas de causer des problèmes ». Même au Chili, Juan Belmonte, « docteur-ès défaites », reste un citoyen du « no man’s land » de l’exil. Roman de la défaite, Nom de torero ne peut pas se clore sur une victoire. Il offre la fin la plus heureuse qu’il peut offrir : à défaut d’une volonté de réconciliation (impossible) avec le Chili, une volonté de réconciliation avec le monde. Le projet final de Belmonte : rejoindre le monde, alors qu’il n’a plus de patrie, depuis le bout de la nuit dans laquelle voyage Veronica. « Pourquoi, Veronica mon amour, avons-nous si peur de regarder la vie en face, nous qui avons vu les reflets d’or de la mort ».
Nom de torero
Luis Sepúlveda
traduit de l’espagnol
par François Maspero
Anne-Marie Métailié
197 pages, 100 FF
Domaine étranger L’art de savoir perdre
mars 1995 | Le Matricule des Anges n°11
| par
Christophe David
Un livre
L’art de savoir perdre
Par
Christophe David
Le Matricule des Anges n°11
, mars 1995.