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Égarés, oubliés La cosmographie de l’encyclopédiste Varlet

février 1996 | Le Matricule des Anges n°15 | par Éric Dussert

Marche à pied et naturisme, haschisch et botanique, Théo Varlet a tout essayé. Poète du c, auteur d’anticipatio et traducteur, il était de ces hommes indépendants qui rêvent trop grand.

Vous aurez beau chercher, les livres de Théo Varlet ne sont plus disponibles depuis belle lurette mais les éditeurs, fins limiers, recourent encore à lui lorsqu’il s’agit de remettre en vente l’un ou l’autre des Anglo-saxons qu’il a traduits voilà près de soixante-dix ans1. Entre 1920 et 1934, cet homme a abattu un énorme travail : on dénombre trente-cinq traductions de Kipling, Jérôme K. Jérôme, Pearl Buck, etc., sans compter la mise au point d’une œuvre personnelle dont la richesse peut étonner.
Théo Varlet est né à Lille le 12 mars 1878 d’un avocat picard et d’une mère lilloise. L’enfant grandit dans un milieu bourgeois qui le promet à la plus brillante carrière mais le garnement suit d’autres mirages. En grandissant, il devient le vilain petit canard d’une ville qui s’offusque de ses calembredaines. Dans son dédain des conventions, il révèle un caractère individualiste et irrespectueux. Non content de raser avec sa moustache tout signe d’appartenance au groupe mâle, il fait son footing « pieds nus dans vingt centimètres de neige, en pleine rue nationale » 2, sème le trouble dans les cérémonies religieuses et plus tard, se marie civilement à Cassis, chaussé de bottines à clous, armé d’un bâton de marche et d’une langouste achetée sur le port pour fêter l’événement.
« Ma ville natale m’a vu, il y a trente ans, sous cet angle éminemment subversif. » On a pris l’habitude de juger : Varlet ? Un excentrique, un casse-cou, un anormal qui a entretenu sa mauvaise réputation : « Afin de préserver mon absolue liberté, j’ai systématiquement refusé dans la société toute relation qui risquerait de devenir encombrante. Ce qui, naturellement, me vaut […] une réputation de sauvagerie et d’inaccessibilité. »
L’homme n’est cependant pas un ours. Épris des larges horizons, il tente d’échapper au médiocre en alimentant son immense curiosité. Entre 1895 et 1902, il entreprend à plusieurs reprises de longs périples, pédestres sans doute. Il visite d’abord l’Europe du Nord où il rencontre le naturisme qu’il pratiquera pour communier avec « les primitivités de la nature », puis les rives méditerranéennes. Il pousse jusqu’aux « Montagnes d’Asie, ombrées d’héliotropes ». Kairouan et Constantinople qui « sur le couchant vermeil s’épanouit » l’envoûtent. Observateur, il ramène de ces voyages des Notations (1906) où il a pris la mesure des beautés naturelles.
Avec une méthode presque scientifique, il franchit d’autres frontières, plus extatiques celles-là. En 1908, comme de Quincey ou Walter Benjamin, il a goûté le haschisch, l’opium et l’éther dont il décrit les fantasmagories dans Paradis du Haschisch (1930). Son but est d’approfondir les incursions de Baudelaire au pays des songes. Ce qu’il tente dans le poème « Télépathie » qui relève la difficulté de dissocier sa propre conscience des influx extérieurs lorsqu’on est sous l’emprise du « juste, subtil et puissant opium ».
Son œuvre entamée avec les poèmes d’Heures de rêve (1898) et ses participations aux revues L’Essor de Lille en 1898, Le Beffroi qu’il a créé avec A.M. Gossez et Edmond Blangueron (1906) ou Les Bandeaux d’or, est sur le point d’éclore. Dès lors, le choix d’un point de chute devient pressant et lui pose un dilemme. Enfant du Nord, son cœur balance entre « le vieil instinct atavique et l’appel du soleil » 3. Contre « l’âpre solitude des dunes » de Knocke-sur-Mer, une « affinité occulte et irrésistible » l’enchaîne à Cassis où il achète le « mas du Chemineau » en 1913. « Rose aux toits gris, enfoui dans la verdure, près de la pinède », il y travaille « en liberté, […] allègre d’ignorer les frères humains et les besoins artificiels ». On l’aura deviné, la dignité lui interdit de souscrire au parisianisme dont les « chapelles littéraires [organisent] le cambriolage de la renommée ».
Isolé mais serein malgré les persécutions qu’il subit pour avoir affiché son pacifisme en 1914, il écrit des contes et des romans que louent Pierre-Jean Jouve, Georges Duhamel, Daniel-Rops ou Rosny aîné. Après la Belle Venere (1920), la Belle Valence, le Dernier Satyre et le Démon dans l’âme (1923), ses textes les plus inspirés sont dédiés à l’anticipation. Une épopée martienne surtout prédomine où il envisage avec gourmandise une « prodigieuse colonisation cosmique, sur Mars ou Vénus » : Les Titans du ciel et L’Agonie de la terre qu’il coécrit en 1922 avec Octave Joncquel lui valent d’être comparé à Wells et Jules Verne.
Mais la vie n’est plus si facile. Son héritage a fondu avec les emprunts russes et il doit s’atteler à des tâches nourricières quand, en 1932, une maladie des os le touche à la colonne vertébrale, puis au bras et lui interdit finalement toute activité. Ses amis Duhamel et Jean Royère fondent alors la Société définitive des amis de Théo Varlet qui lance un appel au secours repris par cent vingt-cinq revues entre septembre 1934 et février 1935. S’il est sauvé financièrement, les liens qu’il a tissés avec les forces-mères sont rompus.
Finies les courses à bicyclette, le poète est cloîtré et c’est injuste. Car plus que tout autre, Théo Varlet était conduit par l’amour du grand Pan. Captivé par l’infiniment petit biologique et le démesurément grand astronomique, il a constitué un herbier d’espèces rarissimes, établit trente-sept cartes stellaires. Dressé face au ciel, il se souvient d’une nuit de sa septième année où une pluie d’étoiles filantes lui a donné le goût du cosmos, comme la lecture de l’Astronomie de Camille Flammarion. De ses poèmes Ad astra (1929) au Nouvel Univers astronomique (1934) qu’il rédige pour l’encyclopédie Roret, Théo Varlet ne donne qu’une leçon qui ressemble à un précepte de Whitman : « Pas de barrière entre moi et le non-moi ».
Rosny aîné disait qu’il appartenait « à la lignée des encyclopédistes, aussi à l’aise dans la science et la métaphysique que dans la poésie, le conte, le roman. » Conscient des « analogies harmonieuses du tout céleste », propagateur de l’idée biocosmique, Théo Varlet fut pris pour un sympathique forcené et frappé d’ostracisme.
Et Willy, qui s’y connaissait, avait écrit : « prosateur éblouissant, poète qui n’a jamais imité personne, Théo Varlet jouirait d’un renom plus tapageur (fichue jouissance !) s’il ne méprisait totalement les trucs de la publicité auxquels la plupart de ses confrères s’adonnent avec frénésie. »
Théo Varlet meurt en 1938 en nous léguant ses écrits au charme des années vingt, des inédits éparpillés et un peu de sa sagesse : « Je songe -et puis après, Ô vieux Cosmos ! et puis ?-/ Que cette vanité des Rois de l’Univers/ Roule sous le regard indifférent des astres ».

1 Cf. Stevenson, Dans les mers du Sud, Payot, 1995.
2 Félix Lagalaure, Théo Varlet, sa vie et son œuvre,
L’Amitié par le livre, 1939.
3 Cf. les articles de Pierre Querleu in Nord ’(n° 3 et 4, 1984).

La cosmographie de l’encyclopédiste Varlet Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°15 , février 1996.