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Domaine français Répertoire contre l’oubli

février 1996 | Le Matricule des Anges n°15 | par Philippe Savary

Ardent défenseur de la ruralité, Jean-Loup Trassard fait chanter avec Objets de grande utilité quelques ustensiles d’intérieur ternis par l’oubli. Son écriture agit comme un lustre. Un nouveau livre contre le temps qui passe.

Imaginons quelques instants ce présentateur-vedette, placide et performant, usant de son métier comme personne pour séduire la ménagère de moins de cinquante ans. Notre homme a préparé son texte parfaitement. Quelque chose comme : « Elle est entièrement de cuivre jaune ou laiton. L’embout qui se dévisse et laisse voir la anche se termine par un trou de 9 mm de diamètre où doit s’appliquer la bouche. De là le cornet s’évase, sur 37 cm de long, pour se terminer par un pavillon de 12 cm en diamètre, mais il ne va pas droit (…)  » À la parole, il a aussi ajouté le geste, montré la bonne qualité du matériau, le juste usage que l’on peut faire du produit. Il espère avoir été persuasif. Juste récompense : au petit matin, devant son poste de télévision, la femme encore endormie s’est laissée convaincre. Elle vient d’acheter une trompe de chasse…
Quittons la fiction et présentons mille pardons à Jean-Loup Trassard d’avoir mis en scène un peu légèrement un passage de son nouveau livre Objets de grande utilité. Ses textes n’ont pas besoin des faveurs du paysage médiatique pour résonner ou s’attirer quelques fervents. Le bouche-à-oreille a toujours prévalu aux haut-parleurs pour inciter les curieux à quitter les rangs. Pourtant, on ne peut s’empêcher, la mine réjouie, de penser à ces derniers témoins de la civilisation rurale -dont il est question dans ce livre, comme cette trompe de chasse-, évoqués par les moyens les plus modernes. Que dirait l’audimat ? Parviendrait-il à les réhabiliter pour leur offrir une deuxième vie ? Profitant de l’occasion, on y présenterait aussi avec force détails et explications d’autres évocations, le fer à repasser, la pelle à pain, les grelots, le coq-girouette, le rouet, le piège à mouches, toutes ces présences muettes tombées en déshérence qui habitent quelque part les greniers de ceux qui conservent. Un joli pied de nez au temps qui passe…
Objets de grande utilité rassemble ainsi des textes parus pour la plupart en 1978 et 1979 à la NRF. La lecture que l’on peut en faire pourrait être celle de nos aïeux lorsqu’ils feuilletaient le catalogue de Manufrance à Saint-Etienne, avant tout achat. Trassard y recense méthodiquement quelques objets domestiques, connus de tous, finalement si utilitaires, si proches de l’entourage quotidien, que l’on a perdu aujourd’hui le sens de leur présence. Car c’est bien ce sens, ou plutôt sa reconquête, qui intéresse l’écrivain : on le devine émerveillé de rendre compte de l’infinie mesure dont sont constitués et s’animent tous ces objets, comme guidés par une sorte de science sacrée, détenue par l’homme. L’histoire de ces instruments se confond ainsi avec celle de nos campagnes, de ses corporations de métiers oubliés, de ses gestes inusités, de ses habitudes perdues. « Maintenant, je m’en aperçois : je n’ai pas le souvenir d’avoir jamais vu repasser dans une ferme, jadis. On devait se cacher plus ou moins pour une tâche considérée en pays sauvage comme luxueuse. »
Trassard, chiffres à l’appui, a fouillé les bibliothèques, exhumé les greniers. Et ces vieilles carcasses patinées par le temps et le maniement, l’auteur nous les donne à voir comme nues au premier jour. Sa poésie, secrète et patiente, s’efforce à chaque regard de profiter de leur usure pour mieux les reluire. Ne parlons pas d’idôlatrie, plutôt d’un délicieux enchantement : « Même retirés à la fonction utile, les objets en effet ne sont pas des blocs de matière que leurs contours trop nets pourraient clore, mais l’endroit où se rencontrent de successifs touchers. Plus précisément, il reste sur eux des places qui attirent, en recherche sans doute d’autres gestes, une caresse qui n’est pas finie. » Cette caresse est d’autant plus rémanente que les commentaires descriptifs de Trassard s’accompagnent et se nourissent de ses souvenirs d’enfance. « Quand donc un objet vient-il à susciter le récit de ses fonctions et apparences ? », s’interroge-t-il. La réponse, quelques lignes plus loin, ne fait aucun doute : c’est une « …évocation chargée de sentiments dans le déploiement (peut-être dialogué) du souvenir. »
Dans ce livre, le dialogue est ainsi pluriel. Chacun des textes se clôt par une photographie noir et blanc. Elle matérialise un pré, un sentier, invariablement traversé par une fente, une excavation ou une rigole. Ces ajouts iconographiques ne se veulent pas une illustration de ce qui précède. À l’écrit qui dit les odeurs et les sons, les clichés donnent l’espace et le toucher, renvoient à une fonction davantage imaginative.
Lire Trassard donne toujours une curieuse impression : celle d’ouvrir les robustes battants d’une armoire en bois massif, et y trouver en y plongeant les sens les parfums exaltés et rustiques des vieilles photos de famille. Objets de grande utilité (1) est un nouveau volet -résolument documentaire- de son affirmation à cette filiation agricole.
Depuis 1960, l’année où Jean Paulhan l’accueillit à la NRF, Jean-Loup Trassard n’a de cesse de glisser sa plume à travers les sillons de la campagne française, particulièrement la Mayenne où il vit. Il est sûrement l’un des seuls écrivains français à s’y intéresser. La lande, la houle, les terres inhabitées suscitent quelques évocations. Moins l’agriculture, ses bovins, ses bouviers, ses labours et ses brouettes de lisier. « Quand on est trop près de la nature, les gens ont l’impression qu’on n’est pas près des hommes », prend-il plaisir à dire. Bien au contraire. Écrivain ethno-poétique, Jean-Loup Trassard s’attache à dessiner les contours d’un territoire à préserver, modelé par des décennies de labeur agricole.
Son écriture travaillée, sarclée est un hymne permanent à la terre et à ses pensionnaires au contact desquels, ou plutôt en présence desquels (car dans son bocage, les gens ne parlent pas), il dit la joie des humbles, le silence des contrées et l’absence de raffinement et de folklore.
A Saint-Hilaire-du-Maine, petite bourgade de 700 habitants où il demeure six mois dans l’année, Jean-Loup Trassard possède 14 hectares, élève des bœufs, cultive du maïs pour nettoyer le terrain et presse la pomme pour un peu de cidre. De sa fenêtre (de privilégié), il a un peu l’impression de participer au monde.
Il sait parfaitement que ses écrits ne peuvent rien contre la lente éradication du milieu rural, il souhaite au moins faire chanter cette mémoire comme une reconnaissance envers un espace qu’il habite et qui le fait habiter. Même si, aujourd’hui, dans nos campagnes, les temps ont changé -les agriculteurs prennent des boules de pain sciées pour éviter de mettre des mies ; un beau ruisseau, c’est un ruisseau bien creusé et bordé de barbelés-, il se veut le garant de ce patrimoine vivant, avant que la préhistoire s’en charge.
Finalement, avec Jean-Loup Trassard, nos campagnes ont encore un bel avenir… dans les livres.

(1) Ajoutons que les éditions Le Temps qu’il fait ont profité de la publication d’Objets de grande utilité pour rééditer Inventaire des outils à main dans une ferme. Basé sur le même principe -le lecteur abandonne seulement la maison pour la grange-, ce répertoire, accompagné également de quelques photographies de l’auteur, était paru en 1981.

Objets de grande utilité
Jean-Loup Trassard

Le temps qu’il fait
110 pages,120 FF

Répertoire contre l’oubli Par Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°15 , février 1996.