J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne
Rongé par le sida depuis huit ans, Jean-Luc Lagarce, décédé en octobre 1995 à 39 ans, avait fini par apprivoiser la mort. Et s’il n’avait jamais fait de sa maladie le sujet de ses textes, la mort en revanche y était de plus en plus présente. C’est ce sentiment d’une fin imminente qui semble avoir dicté de bout en bout ses toutes dernières pièces. J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne, fruit d’une commande de Théâtre Ouvert, avait été présenté par Robert Cantarella il y a deux ans. Pièce inédite, Le Pays lointain résonne comme le prolongement ultime de la première où l’auteur dans un même mouvement lent et triste, serein et doux, tente de réconcilier les épisodes de sa vie.
Les deux pièces s’ouvrent sur la même évidence testamentaire. Un homme, parti depuis longtemps déjà, prend le chemin inverse, revient dans la maison natale pour « revoir sa famille, son monde avant de mourir ». Epuisé, arrivé au terme du voyage, il pose enfin ses valises de douleurs, de joie, de non-dits, de souvenirs « pour régler cette affaire, ce qu’on n’a pas dit et qu’on souhaite dire avant de disparaître ». Au-delà de la pluie, que l’on espère comme une délivrance après une journée trop étouffante, c’est le retour de l’homme, du fils, du frère dont il est question. Penchées sur son corps endormi -ou peut-être déjà mort- cinq femmes tournent, se confient, relaient la parole dans une sorte de ballet au ralenti.
La musique en revanche est plus urgente, plus saccadée, dans Le Pays lointain, la mort est déjà là qui dialogue avec les vivants. Les personnages -Louis (Lagarce), Longue Date, L’Amant mort déjà, Le guerrier tous les guerriers, Un garçon tous les garçons, Le Père mort déjà, La Mère…- se retrouvent dans cette anti-chambre où les temps se mélangent et bousculent la grammaire. Tour à tour ils se découvrent, se souviennent, regrettent et tentent de solder les comptes dans une vaine litanie qui s’achève sur un long monologue de Louis.
« Après, ce que je fais, je pars. Je ne revins plus jamais. Je meurs quelques mois plus tard, une année tout au plus. Une chose dont je me souviens et que je raconte encore (après, j’en aurai fini) : c’est l’été, c’est pendant ces années où je suis absent, c’est dans le Sud de la France. Parce que je me suis perdu, la nuit dans la montagne, je décide de marcher le long de la voie ferrée. Elle m’évitera les méandres de la route, le chemin sera plus court et je sais qu’elle passe près de la maison où je vis. La nuit aucun train n’y circule, je ne risque rien et c’est ainsi que je me retrouverai. À un moment, je suis à l’entrée d’un viaduc immense, il domine la vallée que je devine sous la lune, et je marche seul dans la nuit, à égales distances du ciel et de la terre. Ce que je pense, et c’est cela que je voulais dire, c’est que je devrais pousser un grand et beau cri, un long et joyeux cri qui résonnerait dans toute la vallée, que c’est ce bonheur-là que je devrais m’offrir, hurler une bonne fois, mais je ne le fais pas, je ne l’ai pas fait. Je me remets en route avec seul le bruit de mes pas sur le gravier. Ce sont des oublis comme celui-là que je regretterai. »
Le Pays lointain
Les Solitaires intempestifs
(14, rue de la République
25000 Besançon)
176 pages, 50 FF
et J’étais dans ma maison et
j’attendais que la pluie vienne
Jean-Luc Lagarce
Théâtre Ouvert
(4 bis cité Veron, 75018 Paris)
82 pages, 45 FF