Comme l’avait montré son essai sur La Nouvelle Fiction (Critérion, 1992), Jean-Luc Moreau est le promoteur d’une littérature vraiment imaginative, pleine de fantaisies et de surprises. Traducteur, membre des comités de rédaction des revues Le Horla et Ralentir travaux, chroniqueur sur les ondes de Radio-Libertaire, il a mis en valeur ceux qui comme Frédérick Tristan peuplent d’histoires merveilleuses la forêt littéraire française, trop souvent masquée par les arbres secs de l’autobiographie et du pathos.
« J’arpentais depuis longtemps une étendue de sable et de fins coquillages sur laquelle la semelle de mes souliers laissait l’empreinte d’un pied nu. » Conformément à ses choix esthétiques, son premier recueil de nouvelles, Le Manteau d’hermine provient d’un pays étrange. Établi comme celui que Jacques Abeille décrivait dans Les Carnets de l’explorateur perdu (Ombres, 1993) dans un temps pré-mythique au milieu d’un désert, ce monde vierge offre autant de possibilités que l’imagination veut bien en fournir.
Héritier des conteurs, Jean-Luc Moreau investit le territoire des grandes affabulations. Il les peuple d’ennemis invisibles, de guetteurs, d’enfants et d’oiseaux. Mais son projet narratif n’est pas innocent : il consiste à exploiter encore ces histoires que l’on croyait immuables.
Détournant les faits rapportés par nos mères et les images séculaires, il s’inscrit dans la fable pour en exprimer tout le suc. Ainsi nous promène-t-il sur la face cachée du récit, au moment où l’enchanteur troque sa flûte enchantée pour « Le manteau d’hermine » et rend à la Cité ses enfants et ses rats.
Dotées d’un narrateur malicieux (« il est vrai que la coupe semblait ne devoir jamais être remplie. Enfin elle le fut. Ou on décida qu’elle l’était »), les nouvelles de Jean-Luc Moreau sont des histoires subversives. Elles posent les questions qui mettent en doute la parole donnée, car « d’où tenez-vous qu’on ne peut vaincre un monstre qu’en le tuant ? »
Éric Dussert
Le Manteau d’hermine
Jean-Luc Moreau
Éditions Littéra
18, boulevard de Strasbourg 62000 Arras
123 pages, 75 FF
Domaine français Scriptor in fabula
septembre 1996 | Le Matricule des Anges n°17
| par
Éric Dussert
Un livre
Scriptor in fabula
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°17
, septembre 1996.