Yigal Raviv est fourbe et malhonnête, mais ça ne se voit pas sur son visage : il a une tête d’Aryen (sic !), et même en Israël, c’est un atout. Seulement voilà : Yigal Raviv n’assume pas. Ses cheveux blonds, des yeux bleus « angéliques », son apparente naïveté, cet « air franc, sérieux, intelligent, l’expression pure la plus parfaite d’un intime droiture », ce visage qui inspire confiance est à l’origine de ce qu’il appelle sa « malhonnêteté inconsciente ». « Il est mon entremetteur, mon proxénète, il s’entremet sans même me consulter ! Il m’achète des amis, même si je n’en veux pas ! Il m’achète la confiance, sans même que j’y mette du mien ! Il trompe, sans même que j’en sois conscient ! », avoue-t-il. Bref, ce n’est pas de sa faute. Pourtant Yigal Raviv a entrepris de se confesser. Toute une nuit, devant un ami écrivain impitoyablement silencieux, il avoue tout. Les lâchetés, les mensonges, les compromissions. Pêle-mêle les petits péchés et les gros : Yigal vole des livres pornos, Yigal ne paie pas dans le bus, Yigal trompe sa femme, Yigal a pété dans une église à Stockholm (« un pet silencieux, discret, chaud et qui puait terriblement. (…) Si tu souhaites en faire un récit, j’ai un exergue pour toi. Prends note :» L’errance d’un paisible Juif destiné à empuantir la nef d’une cathédrale bondée. « Plaisanterie antisémite, hein ? » À chaque fois, avec son beau visage innocent, totalement insoupçonnable, il s’en tire. Mieux : il a la conscience parfaitement tranquille.
Alors pourquoi avouer ? Parce que depuis trois semaines, tout a changé : Yigal a trouvé son maître. Un prêtre, allemand de surcroît, n’est pas tombé dans le panneau de ce visage avenant. Porte-parole d’un comité de protection de la nature, Yigal a promené deux jours l’abbé dans tout le pays, sans pouvoir jamais le séduire. « Il semblait douter de moi, c’est-à-dire, de ma personne en soi ». Dépité, il lui fait parvenir un somptueux cadeau, comme ultime tentative. (« Tu saisis le processus ? Yigal Raviv-Rabinsohn, Juif de souche, depuis deux générations au pays, est allé pour, si je puis dire, expier un péché, porter une offrande à un prêtre allemand, venu à lui pour expier son propre péché »). Or, suprême humiliation, Yigal Raviv reste sans nouvelles. L’offrande a été refusée. Depuis lors, il passe ses nuits sans dormir, à se rappeler chaque turpitude oubliée. Ce qui lui donne des remords, c’est justement de n’en avoir jamais eus aucun.
Aharon Megged joue à merveille de ce registre particulier, cet humour grave, que l’on appelle juif et qui permet toutes les libertés, puisqu’il s’agit de rire de soi. Les ambiguïtés de son personnage feraient le délice d’un antisémite. Et le lecteur s’amuse, porté par l’ironie amère de ce juif tourmenté, parfaitement incorrect politiquement. Mais l’auteur ne veut pas en rester là. Le tourment de Yigal est autrement plus grave que ce petit jeu de dissimulation, et son humiliation, la vraie, est ailleurs.
Car qui dit que la confession n’est pas, elle aussi, un masque ? En face de Yigal, le confesseur silencieux (l’écrivain) dissimule, lui aussi. Et quand, enfin, il prend la parole (la plume), c’est pour avouer à son tour son insincérité. Plutôt que de se confier il raconte une histoire. Un coup de grâce plutôt qu’un aveu, qui résonne familièrement pour le confessé et son confesseur. À force de dissimuler, chacun a fini par se mettre à nu. Et le roman, qui avait commencé au son des verres qui tintent, sur le ton de la confidence badine, se termine sur un tragique sentiment de rupture.
Derrière la tête
Aharon Megged
Traduit de l’hébreu
par Marc Cohen
Phébus
177 pages, 119 FF
Domaine étranger Confession et mensonges
décembre 1996 | Le Matricule des Anges n°18
| par
Haydée Sabéran
Le héros d’Aharon Megged a une tête qui inspire confiance et ment avec talent. Mais à trop avoir bonne consience, il finit par avoir des remords…
Un livre
Confession et mensonges
Par
Haydée Sabéran
Le Matricule des Anges n°18
, décembre 1996.