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Poésie Les amusements d’Isabelle Pinçon

décembre 1996 | Le Matricule des Anges n°18 | par Emmanuel Laugier

Isabelle Pinçon a été primée deux fois pour trois recueils parus. Son écriture, entre le quotidien et l’incongru, est légère comme la pluie.

Mort et vif (suivi de) Tu dis

On dirait d’Isabelle Pinçon qu’elle est tombée de la dernière pluie, ou qu’elle semble être née dans le fond d’un journal de province, entre la page des faits divers et celle des annonces de bals. Tout chez cette femme, poète en vers et en prose, oscille entre l’information quotidienne et les dérives féeriques des petits rêves de notre existence. Elle a commencé à écrire après avoir tu, longtemps, sa propre parole, s’est mise à écrire comme on se lance à soi-même un défi, celui de faire sortir la boule obscure qu’il y a dedans. Isabelle Pinçon, qui n’aima pas le français, et l’utilisa bon gré mal gré, a découvert les mots, leur sonorité, le jeu de la syntaxe et du rythme, par les langues étrangères qu’elle étudia. Puis ce furent les cours de psychologie qui lui apprirent à chercher davantage les ponts du langage que les chemins du savoir. Et ce, jusqu’à voir l’une des nouvelles d’Histoires chancelantes être primée au Mans. Et ce, jusqu’à être lauréate, par les petites proses d’Emmanuelle vit dans les plans, du prix Kowalski en 1994. Un an après, on la retrouvera avec C’est curieux dans la collection rouge de proses inclassables de Cheyne éditeur. Emmanuelle vit dans les plans sera écrit par rapport à des photographies en noir & blanc de l’architecte Émile Aillaud, C’est curieux en se retrouvant dans les gestes et les vêtements des hommes.
À Lyon, où elle vit, Isabelle Pinçon fait un repas de viande blanche et d’une bouteille de Saint-Émilion, parle de ses pas d’écrivain, de ses recherches sonores au sein de l’équipe d’Écrit/Studio. Nous sommes entourés de dessins d’enfants dans son bureau, l’œil de l’ordinateur en face, ses yeux à elle étonnés de devoir répondre à ce qu’elle donne dans les pages de ses livres.

Isabelle Pinçon, de Histoires chancelantes à Emmanuelle vit dans les plans, des nouvelles aux fragments de proses que s’est-il passé ? Y a-t-il eu une volonté d’abandonner le carcan d’une forme ?
Les nouvelles, je les ai mises de côté momentanément. Elles furent une sorte de défi et ont été pour moi une façon de contrarier l’image que j’avais eue de la poésie à l’école. C’était un tremplin. Le recueil Emmanuelle vit dans les plans est arrivé très vite, tout seul. Un véritable bonheur, à partir de photographies de places et de H. L. M. de l’architecte Émile Aillaud. Ces images ont été le support pour m’avancer dans un espace imaginaire et tout à la fois inscrit dans la réalité sociale. Ce que je dois aimer dans la poésie c’est parler d’un espace, une espèce de nuage dont on ne fait pas le tour. Ce qui m’importe, en même temps, c’est le lien avec le réel, notre vie d’humain, notre connexion avec la matière.
On se demande un peu d’où vous venez tant votre écriture semble s’imposer d’elle-même, comme un coup de baguette magique. Quels événements, livres, etc., vous ont poussée à écrire ?
Ce n’est pas l’écriture, c’est le fait de créer qui m’intéresse. Je crois que c’est lié à l’enfance. Écrire, c’est prendre parole en son nom. Ce qui était au fond de moi était éteint. Maintenant j’essaye de lui donner forme. Il se trouve que l’écriture est venue en premier. Je crois, de toute façon, qu’on est l’auteur de quelque chose qui nous traverse et nous échappe en partie.
Vos livres, C’est curieux et le petit dernier Mort et vif sont comme des billets, des petites notations intimistes. Vous partez du petit, du quotidien… et vous allez vers où avec tout ça ?
Je ne sais pas du tout où je vais. C’est un peu comme l’analyse. On sait que ça va vers quelque part mais on ignore tout du point de chute. Quand j’écris des fragments, j’écris dans le mouvement de l’instant. Il y a une sorte de confiance qui laisse les choses aller sans volonté de maîtrise. La direction de fond traverse davantage qu’elle n’est choisie. La maîtrise de la forme est autre chose. Ce qui est dit est toujours, finalement, contemporain par rapport à ce que je suis et par rapport au moment où je le dis.
Vous parlez de tous les mouvements inaudibles et inapparents du quotidien, les petits cliquetis de l’âme, la mécanique discrète du désir, du sentiment… Qu’y a-t-il dans ces petits arrangements, qu’est-ce que cette topologie dessine pour vous ?
Je suis très enracinée dans le quotidien. C’est le mouvement naturel de tout humain de se trouver dans quelque chose d’ordinairement quotidien. Mais il s’agit aussi de s’en sortir. Ce doit être ça : à partir de quelque chose qui appartient à tous, faire quelque chose de singulier, qui nous reporte vers nous-mêmes.
Et puis vous basculez toujours de l’ordinaire à l’incongru, d’un plan d’architecte aux lignes intérieures d’un corps, d’un sentiment, par exemple…
Il y a de l’amusement dans ces revirements. L’ennui m’a toujours terrorisée. Il y a assez de situations ritualisées et répétitives pour ne pas en mettre dans l’écriture. Alors, oui, lutter contre l’ennui revient pour moi à me placer là où l’on ne m’attend pas.
En sorte, on pourrait assimiler grossièrement votre travail à ceux des surréalistes…
Il y a quelque temps, j’aurais accepté le rapprochement. J’ai cru être dans cette perspective, j’ai beaucoup aimé le peintre Magritte. Puis, je me suis aperçue que je n’avais que très peu d’intentions. J’essaye de rendre compte de ce que l’on est, multiplement. Les passerelles que l’on fait régulièrement entre ce qui nous rattache au plus bas quotidien et quelque chose de plus volatile, nos rêves, les pensées, etc. J’aimerai approcher cette oscillation avec plus de profondeur encore. Tout est une question de frottement de mots.
Il y a aussi quelque chose d’aigre-doux chez vous. Mort et vif nous fait entrer dans un caveau, et vous regardez la mort, ses faits divers, froidement, en vous moquant d’elle…
Il y a un côté coup de poing, dans la lignée des moralistes. Montrer qu’on est destiné à finir des histoires, jusqu’au bout, quand le corps tombe. Plus conscient de notre finitude, on investirait davantage sa propre vie, pas aussi bêtement. J’ai encore besoin de grincer et de jouer entre le doux et l’acide. Je déverse. J’en suis là. Viendra un temps, sans doute, où j’essayerai de dire les choses sans en rajouter, sans démonstration.
Mort et vif se clôt par Tu dis, un poème d’amour où le travail sur la syntaxe est très serré et s’étend sur plus de dix pages. C’est rare cette étendue chez vous…
Tu dis a été écrit avec une sorte de tension. Là dedans, c’est l’homme, la femme. C’est un dialogue : tu dis ça, je dis ça et puis comment on s’en sort. Le dialogue de Tu dis avait besoin de bricoler sa syntaxe et d’étendre cette mécanique pour mettre son sens, évident, à l’épreuve, pour ne pas qu’il tombe à plat.

Mort et vif
Isabelle Pinçon

Éditions du Dé bleu
95 pages, 75 FF

Les amusements d’Isabelle Pinçon Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°18 , décembre 1996.