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Poésie Le quèque chose de Sacré

décembre 1996 | Le Matricule des Anges n°18 | par Emmanuel Laugier

A 57 ans, James Sacré a écrit plus de vingt livres. S’excusant presque d’exister, ce poète impose néanmoins un ton irremplaçable : du mal-dire aux balbutiements du coeur, il donne forme à une langue commune.

Viens, dit quelqu’un

James Sacré parle de choses simples, de situations qui n’en mènent pas large : ne cherchez pas dans ses livres du grandiloquent, de la salve hermétique, de la gnose poétique, de la complexité rhétorique, du jeu conceptuel, de la révérence métaphysique, du coup de poing brillant ou du naturalisme nostalgique. Non, il y a plutôt, dans ce qu’il pose dans son phrasé, scènes quotidiennes comme, dans Viens, dit quelqu’un, son nouveau recueil qui oscille en cadence entre proses et brefs poèmes, celles de rires de femmes marocaines devant l’érection brusque d’un âne, quelque chose d’infiniment banal, quelque chose qui est croqué sur le motif, donné dans l’instant et retrouvé dans le temps de l’écriture.
Par ses vers aux brusqueries syntaxiques évidentes, son mal-dire ou son parlé oral, sa façon de couper et de construire le vers, de laisser filer sans ponctuation régulière sa prose, d’y ajouter ou, au contraire, d’en retrancher ses « qui » et ses « que », d’abandonner presque définitivement le « dont » au profit de la brutalité pronominale ou de la suspension grammaticale, de préférer l’absence de coordination des temps à la belle prononciation, James Sacré choisit, de toute évidence, d’écrire à partir de ce qui se donne dans le temps, dans l’altérité, dans le mouvement de ce qui ne se réduit pas à une simple construction verbale.
Il y a aussi quelque chose qui, chez ce poète, veut inexister, s’insérer sans se confondre aux jours bêtes et répétitifs de notre existence. Il y a, en bref, comme il le dit dans Ma Guenille (Obsidiane, 1996), dans le petit Carnet rouge du moment par exemple, « rien de caché, ni rien de si honteux : c’était que la banalité désespérante d’un pas savoir écrire avec si peu à dire aux autres dans le vague tourment de vouloir être un écrivain ». Plus loin, il nomme ça ses guenilles : « Guenille, ça pourrait être comme celles des mendiants qui sont là ». Guenille, c’est aussi bien « en passant pas loin d’une usine qui en fabrique du plastique, et du carton, le mot cellulose lu sur un panneau, surtout la mauvaise odeur un moment et quelque chose de désespérément triste dans tous ces lambeaux de sacs noirs on sait pas vraiment d’où venus ».
Né en 1939 à Cougou en Vendée, où il passa toute son enfance dans la ferme de ses parents, comme pris dans le flanc des vaches chaudes aux grands yeux de terre, dans le regard d’un taureau qui bande, alors que le père pisse contre un poteau et qu’il y a Des animaux plus ou moins familiers (titre d’un recueil paru en 1993), James sacré écrit une poésie qui doit, comme Rilke le disait déjà, à quelques expériences. Celles qui remontent à sa Vendée natale, à ses séjours aux États-Unis, en Angleterre, au Maroc, à Paris.
Celles-ci ne valent qu’en ressemblant à s’y méprendre aux plus communs sentiments ressentis par tous, c’est-à-dire aussi bien par nous. Ces expériences font donc ses poèmes et ses proses, ses « guenilles », ce sac qu’il porte comme le dernier résidu d’un « peuple qui manque » (selon l’expression de Deleuze reprise par Jean-Claude Pinson dans l’hommage rendu à Sacré par le N°24 de la revue Théodore Balmoral). Résidu donc de ceux qui ne parlent pas, dont la langue est tue, hommes et animaux. Si tous les détails des saynètes que James sacré donne à voir s’entremêlent, si le statut privilégié ou la valeur d’exemplarité n’existent pas dans cette œuvre, c’est que la langue parle tous ceux-là qui, sans signes distinctifs, sans supplément, sans manières, sont là à vivre la bête répétition de jours aux semblants de bonheur.
Viens, dit quelqu’un, en 24 cadences, parle d’histoires de cœur mièvres et de rencontres aux détours d’un carrefour, de la lumière jaune et pisseuse de bars et de bières, de gars perdus au fond d’une salle, laissés à eux-mêmes comme à leur dernier vêtement.

On dirait volontiers que la poésie de James Sacré qu’elle naît, sans aucune naïveté, d’un regard pointilliste sur nos comportements. Depuis Relation (N. C. J., 1965), La Transparence du pronom elle (Chambelland, 1970), Cœur élégie rouge (Édition du Seuil, 1972), l’étonnant Un brabant double avec des voiles (Nane Stern, 1977), manuscrit sur du papier violet de fond de cagettes de légumes, Figures qui bougent un peu (Gallimard, 1978), et plus récemment Une fin d’après-midi à Marrakech (André Dimanche, 1988), Des animaux plus ou moins familiers (André Dimanche, 1993), La poésie, comment dire ? (André Dimanche, 1993), Ma guenille (Obsidiane, 1996), James Sacré n’a cessé de dire l’entremêlement de lignes que font nos existences, comment on se prend dans le pays qu’on vient à habiter ou à traverser, comment on prend le petit doigt d’un homme pour aller vers on ne sait pas quoi, comment le désir tisse toute la peau que nous sommes, trame les membranes intérieures de nos sentiments, comment le regard d’une bête, une vache, un âne, un renard, devient des mots que l’on cache sous d’autres : « Renard : petit tas de lettres défait, comme un cœur usé ou quelque organe montré ».
James Sacré est un homme poreux, sa poésie en trimbale toutes les traces, elle verse devant ce qui s’est entassé au fond de la mémoire : « voilà qu’on pourrait dire presque n’importe quoi/ la couleur imaginée du cœur ça donne des coups tenus dans/ la cage thoracique/ ou bien les yeux de quelqu’un que c’est tout un pays/ remué » (Figures qui bougent un peu).
Toutefois, on aurait tort de croire qu’il suffit de relater ce qui se passe devant nous pour constituer le corps d’une écriture. En faisant mine de dire les choses telles quelles, sans jamais maniérer la versification ou la syntaxe de ses textes, James Sacré ne fait rien d’autre que leur donner leur maniérisme nécessaire. On parlerait alors de trahison, de ruse. « Ne plus aimer la langue, pourtant, c’est quand on cesse, je crois, dit James Sacré, de la maniérer, et qu’on la traverse dans l’aveuglement le plus superficiel ». Cette parole, qui dit la simplicité basique et comme archaïque par laquelle un visage, une gueule, un « zob », des poils, de la boue, se montrent, contourne ce qu’elle porte.
Cette façon de dire, Viens, dit quelqu’un le confirme encore : « Mon poème à peine comme un simulacre de marchandage,/ si peu d’enjouement consenti, et fausse monnaie des mots pour/ s’approprier ce qui n’a pas de prix, le temps défait, l’amitié d’un instant pour/ On ne sait plus très bien ;/ Et l’indifférent sourire des choses ».

Viens, dit quelqu’un
James Sacré

André Dimanche éditeur
153 pages, prix n. c.

Le quèque chose de Sacré Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°18 , décembre 1996.
LMDA papier n°18
6,50