Il faut toujours se méfier d’un auteur de vingt-trois ans -depuis Lautréamont, on sait de quel déchaînement verbal sont capables les jeunes écrivains-, et à plus forte raison s’il ose ouvrir par un tel incipit son premier recueil de nouvelles : « Voilà, je me présente : je m’appelle Hicks. Puisque c’est écrit, vous savez évidemment qu’il y a de grandes chances pour que ce ne soit pas mon vrai nom. Mais c’est peut-être mon vrai nom. Certains vous assureront que toute littérature tient à ce « peut-être », que toute littérature est ce « peut-être ». Cela ne m’intéresse pas. » Se méfier, non qu’il y ait à douter des qualités d’Olivier Saison, mais plutôt afin de se préparer à affronter un goût prononcé pour la dérision, voire la provocation, et une écriture à coup sûr dérangeante comme peut l’être cette trivialité gratuite qui surgit soudain au cœur du récit : « Lori vient de cesser de se moucher, probablement parce qu’elle n’avait plus rien dans son nez ».
Donc pas la moindre attirance pour les arcanes de la littérature ? Alors pourquoi écrire des nouvelles ? Comme le titre l’indique clairement, pour parler des présents et des orifices ; surtout des orifices. Les orifices vaginaux par exemple, qui expulsent malgré eux quantité de sperme et de sang ; mais aussi les orifices anaux, qui souffrent d’hémorroïdes ; ou dans d’autres domaines, la fente d’une boîte aux lettres, la cave d’un abattoir où trois femmes pendues à des crochets vivent tranquillement leur dernière heure. C’est donc à une saisissante endoscopie que nous convie Olivier Saison pour explorer, avec un malaise certain, l’immense béance qu’est la vie, pour la côtoyer jusque dans ses chairs exsangues qui en appellent au suicide ou au meurtre.
On découvre ainsi, à la faveur de furtives plongées -il faut savoir gré à Olivier Saison de n’avoir pas cherché à prolonger ces visites-, des personnages fantomatiques englués dans leur mètre carré de misère, comme cette jeune fille qui survit « au milieu de ses tampons ». La jeunesse ne bénéficie d’ailleurs ici d’aucune clémence : dans Lucy Down, une demoiselle s’apprête pour le bal, revêt « une longue robe blanche satinée avec des bretelles de dentelle », se pare « de sa plus belle paire de boucles d’oreilles », savoure un instant le plaisir de retrouver celui qu’elle aime, sort en souhaitant une bonne soirée à ses parents, et se fait écraser par un poids lourd appartenant à une importante société de préservatifs. Ironie du sort : « Elle ne portait pas de préservatifs sur elle » et « n’en avait même jamais vu en vrai de toute sa vie ».
Toutes ces tragédies farcesques ont de quoi pétrifier les esprits les plus gaillards, et pourtant on rit, plutôt de bon cœur, et même souvent. C’est qu’Olivier Saison ne rate aucune occasion pour ménager quelques « trouées » de ciel bleu dans ce décor si sombre. Ainsi le narrateur de la première nouvelle suspend-il son récit pour confier au lecteur que sa femme vient de le quitter : « normal : je n’avais jamais réussi à lui construire d’étagères stables et carrées ». Et parfois la narration emprunte de surprenants raccourcis : « Je ne perdrai pas mon temps à vous prouver que Lori tenait sa beauté de sa mère et non de son père, qui était très laid, car vous ne connaissez ni l’un ni l’autre ». Pour le plaisir de renvoyer la balle, on aimerait juste rétorquer que l’origine de la beauté de Lori, franchement, on ne s’en souciait guère.
Présents et autres orifices
Olivier Saison
Le Serpent à plumes
136 pages, 80 FF
Domaine français Trous noirs
décembre 1996 | Le Matricule des Anges n°18
| par
Didier Garcia
Une verve caustique pour singer la fatalité et décrire sans complaisance la misère humaine. Une première publication saisissante.
Un livre
Trous noirs
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°18
, décembre 1996.