Comment écrire l’amour porté à une grand-mère ? Comment dire le respect, la dignité, la complicité ? Comment témoigner ? Comment relater la vie vieillissante, en faire de la littérature, au plus près de ce qui d’abord la nie, la réduit au silence ? Ces questions, Jean Delabroy a dû se les poser invariablement, lui qui avoue avoir rêvé de ce livre, impérieusement, douloureusement, partagé entre la « détresse d’avoir tant et tant reculé » et ce « désir comme je n’en ai jamais connu ». De cette nécessité, on pouvait craindre le pire, surtout pour une première publication. D’une part, il y a quelque chose de périlleux à poser sa plume au chevet de celle qui se meurt : la complaisance, l’indiscrétion, voire l’obscénité. D’autre part, on le sait, un torrent d’émotions n’a jamais alimenté la bonne littérature. Tout au long du roman, l’auteur réussit à fuir cet écueil, en soulignant de surcroît la dangerosité de son entreprise -éviter « d’entrer dans quelque chose au terme de quoi il y aurait peut-être du sacrilège ». Ainsi, c’est par des choses insignifiantes, des petits riens, des détours volés -un regard, une parole, un geste- que Jean Delabroy raconte les derniers mois de la vieille dame. Fragmenté en une douzaine de chapitres (Lieux, Trous, Hommes, Maux, Ordres…), le livre rend compte avec une étonnante sincérité, une émouvante plénitude de ce qu’est la sénilité, cet « envahissement du dehors ». Malgré « quarante ans de pratique », l’interminable temps valide fait son oeuvre : l’espace se réduit, la nature se dégénère, la mémoire s’émiette, la solitude s’accroît. La vieillesse accomplit son existence, c’est les doubles des clés qui se perdent, le chéquier dont tout le monde se sert, les deux jours pour faire une tarte aux pommes, la manie du rangement, l’obsession d’être prêt avant le dernier départ.Attentif à ces instants du crépuscule, l’auteur témoigne de cette « âme en nerfs ». Nous ne sommes pas là dans un mouroir. Il y a des rires, des peurs, des confide
Pense à parler de nous chez les vivantsJean Delabroy
Éditions Verticales296 pages, 120 FF
Premiers romans Amour vermeil
novembre 1997 | Le Matricule des Anges n°21
| par
Philippe Savary
Un livre
Amour vermeil
Par
Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°21
, novembre 1997.