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Domaine français L’été d’Antigone

novembre 1997 | Le Matricule des Anges n°21 | par Marc Blanchet

Etés, journaux

Né en 1913 en Belgique, Henry Bauchau a publié des romans et de la poésie avant de connaître une consécration internationale avec Œdipe sur la route (1990) et Diotime et les lions (1991, chez Actes sud également). Antigone continue cette relecture des mythes dans un long monologue qui ne prend fin qu’à la mort du corps d’Antigone. Car le corps semble être le seul « bien » périssable de la fille d’OEdipe revenue à Thèbes pour tenter d’éviter une lutte entre ses deux frères, et fils de Jocaste : Polynice et Étéocle. Entrer dans ce roman ne demande pas de réviser ses connaissances en matière de mythes et de légendes. Une certaine nudité est plutôt réclamée au seuil de cette histoire émouvante où la foi d’Antigone ne pourra pas empêcher l’inéluctable : la rivalité de deux frères ne pouvant se partager le règne d’une ville en alternance. Polynice à l’aide des Nomades combat donc Étéocle, soutenu par de fidèles compagnons : Vasco, l’homme des souterrains et de la police secrète, Hémon, fils de Créon, le roi qui après la mort des deux frères reprend le royaume et décide de tuer Antigone. Tout dans ce récit tournoie autour d’Antigone dont Henry Bauchau pétrit la personnalité jusqu’à la rendre semblable à son propre style : presque crue dans sa spontanéité, naïve dans sa foi et son audace, fragile par son exigence et sa volonté. L’écriture de Bauchau demande un moment d’assimiliation : on peine à accepter des phrases souvent faciles dans leur construction (par exemple : « L’attaque est donc proche, j’éprouve une grande angoisse, il va y avoir beaucoup de morts. ») Ces phrases quelque peu bancales agissent presque comme des leitmotive où finit par transparaître la fragilité d’Antigone. Pas de figures de style ni d’ornementations : ce livre procède plutôt de l’oralité et apparaît finalement comme un genre dialogué. On sait par ailleurs Henry Bauchau dramaturge : son Antigone est bien ce drame chanté devant lequel les spectateurs s’assoient en demi-cercle.
Dans ce théâtre antique, Antigone apparaît toujours dans sa maigreur, la robe déchirée, plus spendide dans la misère que dans les mirages de la cour. Dès le début de la guerre entre ses deux frères, elle prend soin des malades aux côtés d’une femme qui va se révéler non seulement une soeur fidèle mais aussi la future descendante de la branche d’OEdipe : Ismène. Partagée entre la haine et l’amour pour Antigone, qui pendant dix ans a quitté sa famille pour suivre l’aède OEdipe, Ismène incarne bien les personnages créés par Bauchau pour cette représentation dramatique : déchirés par leurs sentiments, fascinés par leurs ascendants, livrés à eux-même dès l’instant où ils se trouvent dans le sillage d’Antigone. Dans cette Grèce qui ne semble pas être régie par les dieux mais bien par les désirs obscurs des humains, Antigone éclaire notre propre siècle : refus du massacre et des guerres, de la lutte pour le pouvoir, de la misère et, plus lointain pour nous, amour éperdu pour le futur incarné par les enfants, la beauté des corps, la vaillance et l’art. Malgré de nombreux rebondissements, la fatalité guide cette famille et la souffrance ne sert hélas qu’à révéler trop tard leurs attachements. Les confidences alors se font au seuil de la mort, comme celle d’Antigone à Ismène : « Depuis mon retour à Thèbes, c’est toi qui as été la grande soeur, c’est toi qui sans cesse m’as protégée de ton affection et de ta clairvoyance. Le peu que j’ai pu faire, c’est grâce à toi. Sans ta patience -et tes colères contre mes illusions- tout aurait tourné plus mal encore et plus vite. Au lieu de pouvoir dire non à Créon comme tu m’en as donné le temps et la force, je serais morte depuis longtemps. N’oublie pas, le non à Créon était un oui à ton enfant et à ta vie. »
La parution d’Étés, journaux écrits à cette saison, permet de découvrir l’écrivain derrière le masque d’Antigone. Henry Bauchau y parle dans un journal intitulé Soleils levants sur la Vienne de ses promenades à l’aube dans cette campagne. Ce livre est original : le journal d’Henry Bauchau est suivi d’un autre texte d’un poète belge : Soleils en terrasse de Werner Lambersy. Son territoire est autre : il s’agit de l’Ardèche, dans une tonalité nocturne.
Écrit de 1992 à 1994, le journal d’Henry Bauchau est un désir murmuré d’abandon et de confiance dans la nature : « Ne pas penser à Dieu ici, c’est l’impératif qui survient. Vivre, ressentir ce qui est. » Ce journal constitue aussi un témoignage précieux sur l’élaboration d’Antigone et notamment la fin et de l’oeuvre et de cette femme exceptionnelle que Bauchau retrouve dans un soleil rouge : « Ce grand soleil rouge et qui disparaissait était aussi Antigone, la mort nécessaire d’Antigone qui m’avait valu cette nuit affreuse, le monde tournoyant de mon réveil, les aberrations de la matinée et le sombre sommeil qui les avait suivis. J’avais en somme écrit avec courage, avec foi cette mort d’Antigone qui m’éprouvait tant. Mais la foi ne suffisait pas. Saint Paul l’avait fait remarquer avec justesse aux Corinthiens :» Quand j’aurais la foi qui soulève les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien. « Mon texte, mon brouillon, achevé j’avais tenté d’occulter la mort d’Antigone au lieu de continuer à la vivre et l’aimer. Je ne voulais plus souffrir et c’est Antigone qui avait souffert en moi, en cet homme sans amour » qui n’était rien, « qui ne pouvait plus rien pour elle. Elle s’était révoltée, et m’avait révélé ainsi ma fragilité et celle du monde sans amour. »
La mythologie apparaît aussi dans le très beau journal de Werner Lambersy, constatant que « de tout temps, l’homme s’est toujours arrêté pour adorer dans l’émotion de la louange et la légère exaltation devant la promesse renouvelée d’une beauté rare et banale à la fois. Orphée chante pour faire part de cela, qui sans le regard n’aurait pas de réalité ; et, sans sa voix, demeurerait muet donc innommé. » Cette nomination est le propre de la poésie. Ces deux livres lui appartiennent.

Antigone, Henry Bauchau
Actes sud, 356 pages, 128 FF
Étés, journaux, Henry Bauchau
Éditions Labor, 76 pages, prix non indiqué

L’été d’Antigone Par Marc Blanchet
Le Matricule des Anges n°21 , novembre 1997.
LMDA PDF n°21
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