Avocat à Namur, sa ville natale, Jean-Claude Pirotte est condamné en 1975 à une peine d’emprisonnement de vingt mois pour avoir favorisé la tentative d’évasion d’un détenu, fait qu’il niera toujours. Promu au rang de Fantômas de barreau, il se soustrait à l’exécution de sa peine en prenant le maquis. Placée sous le signe du « frère à venir », des lieux furtifs dont le fuyard s’approprie et épouse chaque fois « les formes, les accidents, les surprises », et du vin -cet « avenir de l’homme » -, la cavale qui donne son titre au roman est la chance qui rend Pirotte à sa vérité : la paresse (active) et le vagabondage (productif).
Placé en épigraphe sous le double signe de la frontière et de l’éloignement intérieur, le récit se veut une recomposition du souvenir. Il tente de mettre bon ordre dans l’anarchie des jours qui firent d’un père de famille un clandestin du sentiment, d’un poète d’occasion un écrivain, d’un accusé défendant son innocence devant la cour un homme obsédé par ses fautes et condamné sans recours par son tribunal intime. Des extraits du carnet de cavale de l’auteur alternent avec des pages où Pirotte part en quête de la vie « toute nue, toute crue » de ce type dont il ne sait plus rien, mais qui « doit bien se trouver quelque part dans ce carnet ». Il sonde ce qui n’y figure qu’en creux, et s’interroge : le héros en fuite, injustement accusé, n’est-il qu’un « falot personnage de roman de gare » ou bien plutôt un être (re)naissant à l’existence véritable dans « la lumière éblouissante de l’exil » ? La question restera sans réponse. Comme toujours chez Pirotte, le constat d’échec guette.
A peine déposé sur le papier, le mot est déjà périmé. La vie passe au large de l’écrit, comme un paysage défile par la vitre d’un train. Obsédé par la traque des images qui se dérobent tant sous son pinceau de peintre du samedi que sous sa plume d’écrivain du dimanche, Pirotte souffre de savoir qu’il lui est à jamais impossible d’imposer la liberté du ciel à sa peinture ou d’écrire la lumière, cette « sorte de voirie de l’âme » (Jaccottet). Constat de disparition, « déclaration d’absence » faisant écho à l’échappée perpétuelle des choses, la cavale est le thème pirottien par excellence.
Une fois posé son projet, le romancier se délite hélas au fil des pages. Convaincu -ou désireux de se convaincre- de son incapacité à mener à bien le « pensum » que lui a infligé son « orgueil enragé », Pirotte mène sa plume toujours ailleurs, renonce à aborder vraiment les choses. Le livre dès lors tient à son tour de la cavale : il se fausse compagnie, se perd (et nous abandonne) un peu en route. Il n’a d’autre valeur que de trace - incomplète, imparfaite. Mais pour Pirotte, cette trace sur laquelle il revient dans chacun de ses livres justifie seule « le droit d’être en vie, d’avoir été vivant ». Sauver de l’oubli « la visite d’un couple de pies, la chanson fragile du ciel, et l’agonie des pensées », c’est un peu se sauver soi-même ; c’est affirmer que « tout ce qui nous inspire le sentiment de l’ordinaire tient du miracle et de la magie », et que la seule façon de faire pièce à la cuisante incertitude du monde est de toujours réapprendre l’ignorance.
Cavale
Jean-Claude Pirotte
La Table Ronde
167 pages, 89 FF
Domaine français Littérature, terre d’exil
janvier 1998 | Le Matricule des Anges n°22
| par
Philippe Sizaire
Jean Claude Pirotte fait le récit de la Cavale devenue sa vie. Un homme en fuite écrit ce qui le fuit. Mais que les routes des vins ont de charme !.
Un livre
Littérature, terre d’exil
Par
Philippe Sizaire
Le Matricule des Anges n°22
, janvier 1998.