Si on l’avait un tant soit peu perdu, comment retrouver ce goût bref, mais ô combien intense de la nouvelle… A l’évidence, Alain Kewes, dans Le Geste manqué de l’amant, noue avec ce style littéraire bien particulier une liaison passionnelle.
Depuis quinze ans, ce jeune documentaliste à Auxerre est un habitué de cet exercice de plume. Après de nombreux textes parus dans des revues comme L’Encrier renversé, Encres Vagabondes, Sol’air…, le voilà lauréat du prix Prométhée. Créé par L’Atelier imaginaire, ce trophée récompense un recueil de nouvelles inédit. Cette année, Noëlle Chatelet, Pascale Roze, Rachid Boudjedra, Hubert Haddad, Michel Host, Georges-Olivier Châteaureynaud, entre autres, ont fait une fois de plus bonne pioche parmi les nombreux manuscrits envoyés. Paradoxalement, ce qui surprend d’entrée le lecteur dans ces quatorze nouvelles primées, c’est leur chute… Dès les premiers récits, on a compris qu’Alain Kewes en fait le pivot de son écriture, la pièce maîtresse de sa construction littéraire. Dans la toute dernière phrase de la nouvelle, elle surgit, sournoise, habilement dissimulée, pour surprendre et confondre le lecteur. Allez, on ne va en trahir qu’une : celle de ce sportif qui se lance dans une course de fond. Du coup d’envoi au classement final, on vibre, on participe, on souffre avec lui pour découvrir dans la dernière ligne qu’il s’agit… d’un vieux liseron au sortir de l’hiver.
Tous les textes d’Alain Kewes sont de cette mouture, ils aiment par-dessus tout la dissimulation. Une autre caractéristique fédère ce recueil : toutes ses nouvelles s’épanouissent dans des univers des plus classiques (la vaisselle, le bureau, le jardin…) qui prennent sous la pointe du stylo de l’écrivain une autre dimension. Dans sa préface, Alain Absire note à juste titre : « Alain Kewes est un explorateur. Ses horizons d’aventuriers le mènent, au-delà des apparences, en marge des histoires ordinaires. Il est le maître de la grande course aux illusions. Autour de lui, si l’on n’y prend garde, on peut ne discerner qu’un catalogue de vies effacées ». Citons un exemple de ces mondes simples où l’on se met soudain à voyager. Dans un vieux livre de poche, à la tranche bleue pâle, monsieur Jean découvre des notes étranges dans les marges, écrites de la main d’une inconnue ; et nous voilà partis dans une singulière balade…
Peut-être pourrait-on regretter trop de tristesse, de désarroi dans l’ouvrage. On aurait aimé quelques nouvelles humoristiques qui doivent prendre un relief tout particulier dans les mains du créateur Alain Kewes. Pour l’instant, l’homme se contente simplement de flirter avec l’humour. Dans la confession de foi qu’il livre en fin du recueil, il explique : « Dans mes lectures comme dans mes propres nouvelles, je suis sensible au tragi-comique de l’existence. Il est rare qu’un événement ne puisse apparaître sous les deux aspects en même temps. On peut en pleurer, on peut aussi en rire. C’est cet oscillant « aussi » qu’il m’intéresse de mettre en scène ».
Le Geste manqué de l’amant
Alain Kewes
Editions du Rocher
235 pages, 118 FF
Domaine français L’étrange quotidien
septembre 1998 | Le Matricule des Anges n°24
| par
Hubert Delobette
Le prix Prométhée de la nouvelle a déniché, en sus d’un écrivain, un explorateur de nos univers quotidiens qui manie diablement l’art de la chute.
Un livre
L’étrange quotidien
Par
Hubert Delobette
Le Matricule des Anges n°24
, septembre 1998.