Un homme, une femme, un enfant, un divorce, et quelques kilomètres d’autoroute plus tard, une ville. Une ville sinistre et anonyme, où le narrateur erre, esseulé. Après une crise d’aphasie, vient pour lui le repli dans une chambre d’hôtel miteuse, où le temps s’égraine au rythme de l’ingurgitation boulimique de bouquins Série Noire et sandwiches jambon-beurre. C’est un fait : « inutile de faire plus longtemps le mariole : ça n’allait pas très fort ». En éclusant les canettes de bière vautré sur son lit, l’homme rumine une rupture qui lui a été imposée. Et pense à son fils de treize mois, innocente victime écartelée par la déchirure parentale. Et c’est là, dans cette exiguë chambre douze que surgit l’amour, sous la forme la plus inattendue, celle d’un mot. Car au détour d’un polar de Colin Harrison, « très exactement à la trente-cinquième ligne de la page 19 », ses yeux heurtent un terme inconnu, qui immédiatement le séduit, en « authentique coup de foudre ». Ce mot est « rédimé ». Voici donc « l’histoire d’amour entre un homme et un mot », l’histoire d’un homme qui, après avoir tout perdu, jusqu’à la parole, s’éprend de six lettres, trois syllabes, qui l’émeuvent.
Comme on imagine l’existence que peut mener une femme sur laquelle on vient de se retourner dans la rue, les spéculations relatives au sens de ce « rédimé » vont bon train dans l’esprit de l’amoureux. Et comme l’on suivrait l’inconnue jusqu’à son domicile, on poursuit ici le mot dans les méandres des poussiéreux dictionnaires de la bibliothèque municipale. Jusqu’à le cerner enfin au travers du Petit Robert : « Rédimer : racheter, mais avec une petite nuance religieuse ». « Rédimé » prend une autre forme dans l’intrigue, se diffusant pleinement en l’homme, jusqu’à faire sens de ses actes. Aussi, « naîtrait tout autre chose. De la littérature ? ». Mais c’est bien là que le bât blesse. Car si le concept du roman est intéressant, la narration s’enlise. Le style, oscillant entre langage parlé et hâblerie intellectuelle, finit par lasser, avec son surplus de références pompeuses et ses digressions perpétuelles. Quant à la prise de conscience du fameux « rachat », elle est bien piètrement mise en scène. C’est lors d’un accouplement lamentable avec une bibliothécaire bègue, retrouvant comme par magie la fluidité de la diction en phase post-coïtale, qu’elle a lieu. Douteuse Rédemption. D’autant que le happy-end mignard qui s’en suit reste terriblement prévisible.
La Ville des grincements de dents
Arnaud Viviant
Calmann-Lévy
154 pages, 92 FF
Premiers romans Fin de carie
septembre 1998 | Le Matricule des Anges n°24
| par
Nathalie Dalain
Un livre
Fin de carie
Par
Nathalie Dalain
Le Matricule des Anges n°24
, septembre 1998.