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Domaine étranger Cochons d’eau douce

janvier 1999 | Le Matricule des Anges n°25 | par Anne Riera

Le village de Yordan Raditchkov sommeille sous les eaux. L’écrivain bulgare ressuscite ses habitants, ses vaches et ses cochons. Cocasse.

Raditchkov invente pour ses interlocuteurs des contes qui répondent à sa place. Il est à l’image de ses nouvelles, un fabuliste rusé et plein d’imagination. Aux autres de faire le tri parce qu’ « il n’y a rien de plus ennuyeux qu’une bonne réponse ». Et parce que Raditchkov médite toujours une nouvelle farce, il exige de ses lecteurs une distance moqueuse et un art du mensonge certainement égal au sien.
« Le lecteur est une créature assez fainéante. Il faut le maintenir en état de veille. L’écrivain a donc recours à la ruse et au mensonge ». Il y faut de justes proportions. De l’ironie, de la poésie, quelques cocasseries. Mélanger le tout avec ces histoires que l’on entend tard le soir dans les auberges quand on surenchérit sur le voisin, imaginant avoir marché sur la lune ou visité Paris -sans l’avoir trouvée, parce que ce jour-là la ville était en congé-, on obtient une œuvre unique dans le paysage littéraire bulgare. Les filiations, il faut les chercher au-delà des frontières, du réalisme magique d’un Garcia Marquez ou d’un Guimaraes Rosa au comique populaire d’un Gogol. L’œuvre de Raditchkov, essentiellement des nouvelles et du théâtre, est foisonnante, poétique et drôle. Elle est l’héritière des fables populaires et des légendes millénaires. Joyeuse et colorée, elle se prête à la lecture à voix haute par ses refrains, ses changements de tons et de rythmes. Elle se nourrit du « dialecte typique de la Bulgarie du nord-ouest » dont il est originaire. « Je pense qu’une forme littéraire doit absolument répondre à deux exigences essentielles : raconter une histoire et rendre compte du but de cette narration. C’est quelque chose qui existe déjà dans la création orale. Dans ce que j’écris il y a une influence des contes de fêtes populaires dans lesquels on trouve toujours une certaine morale. » Au lecteur de la chercher tout seul, entre deux éclats de rire.
Comme un « troupeau de brebis » les histoires de Raditchkov « broutent toutes seules derrière le berger-écrivain ». Leur pâturage, c’est un petit village imaginaire, Tcherkaski. Il est la copie conforme de celui dans lequel Raditchkov a grandi, aujourd’hui rayé de la carte par la construction d’un barrage. « Je continue à vivre avec ce village, ses 500 habitants, ses 200 chiens, 150 coqs, et au moins 100 chevaux et 150 vaches. L’écriture est une manière de conserver la vie, mais en écrivant on peut aussi la ressusciter » et avec elle, toute une civilisation des villages aujourd’hui disparue parce que les hommes ont succombé aux attraits de la modernité. A l’image de ce petit chef qui s’exclame dans un de ses récits : « cette rivière doit être redressée ! ses berges et son lit aussi. Regarde quels méandres elle fait ! tous les vingt mètres ! Pourquoi tant de méandres pour une seule rivière ? ». Et Raditchkov, moqueur, de répondre : « elle est vieille, camarade président. Elle existe depuis l’époque turque ».
Raditchkov est le chantre d’un monde révolu, et son œuvre lui vaut aujourd’hui d’être considéré comme le premier écrivain de Bulgarie. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Malgré des tirages qui atteignent très vite les 100.000 exemplaires, ses premières nouvelles, parues à la fin des années 50, sont éreintées par la critique et quelques-unes seront même interdites -bien que l’écrivain ne se soit jamais posé en dissident. Parce que là où le pouvoir cherchait de beaux héros courageux et positifs, il a découvert des paysans entêtés, bourrus, rêveurs, à l’écoute de la nature et des animaux.
« Dans mon village dès qu’une pie venait à la fenêtre, l’hôtesse comprenait qu’elle aurait très bientôt des invités. La pie était un signe de visite. C’est une de ces croyances qui rend la vie plus intéressante. » Ainsi « l’eau coupe », « la terre claque des dents », les traîneaux n’en font qu’à leur tête et les cochons sont des individus indépendants qui se moquent de leurs maîtres. Raditchkov est nostalgique de ces temps lointains où les bœufs chuchotaient à l’oreille des hommes. « Parce que je suis humain moi-même et que je sais à quel point je peux être bête et démuni, j’évite de trop faire confiance à l’homme. Si un homme voyage à cheval et s’il s’égare, il peut lâcher les brides, le cheval retrouvera tout seul le chemin. » Si les animaux et les objets ont une vie propre, Raditchkov n’a pas non plus oublié que le malin et le merveilleux s’inscrivent naturellement dans le quotidien. Mao ou le pharaon d’Égypte apparaissent parfois dans le ciel sans crier gare, les morts ne dorment pas toujours et, sous l’appellation de « tenets », travaillent à la place des vivants. Les paysans de Raditchkov sont rarement pris au dépourvu. Parce que leur devise est « sois invraisemblable ». Parce que « comme les gens qui en regardant le ciel étoilé et les constellations les ont nommés pour les rendre plus proches » ils ont, grâce à la parole, apprivoisé l’inconnu. Ainsi tous les malheurs qui s’abattent sur leur communauté sont-ils attribués à un monstre qu’on appelle le Verblude. Une fois celui-ci nommé il n’y a plus aucune raison de s’inquiéter. Tout ce qui advient, l’est par sa faute, il suffit donc d’attendre qu’il se lasse de ses méfaits. Les paysans de Raditchkov dissimulent sous une apparente naïveté leur sagesse et son secret : ils ont découvert le pouvoir magique des mots.
Loin de toute description naturaliste et sociale, Yordan Raditchkov met en scène un homme tellurique pour lequel tout devient source d’épopée. Le trajet jusqu’au marché se transforme en odyssée, des cochons qui s’échappent d’un enclos et fondent sur les cuisines d’un monastère figurent les barbares attaquant Rome. « Je pousse un peu mes personnages du doigt sinon ils mènent, sans s’en rendre compte, une existence de petits dieux. Dans le fait que les hommes vivent il y a quelque chose de très épique. Pour beaucoup il n’y a rien d’épique quand un homme pince une femme. Mais dans l’Antiquité ça entraînait une guerre. » Et Raditchkov d’ajouter, parce qu’il ne faut jamais prendre les choses trop longtemps au sérieux, « et cette guerre devenait une guerre épique, conformément au principe qu’il faut une guerre pour éviter le scandale ».

Les Récits de Tcherkaski
Yordan Raditchkov

Traduit du bulgare
par Marie Vrinat
L’Esprit des péninsules
196 pages, 120 FF

Cochons d’eau douce Par Anne Riera
Le Matricule des Anges n°25 , janvier 1999.
LMDA PDF n°25
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